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MAURIN DES MAURES

— Vous me faites mourir de curiosité.

— J’appris un jour qu’un personnage étrange hantait le cimetière d’Aiguebelle. On me fit de lui un portrait que je crus reconnaître. Bien certainement c’était mon homme. Je voulus m’en assurer. La chose était facile puisque, disait-on, il n’abandonnait le cimetière qu’au moment de la fermeture des grilles. Il y arrivait le matin et ne le quittait pas même pour déjeuner. À midi, assis sous un cyprès, au bord d’une tombe, il croquait un quignon de pain, buvait l’eau ou le vin d’une bouteille plate qu’il remettait ensuite dans sa poche soigneusement, et reprenait son poste d’observation dans les bosquets funèbres.

— Son poste d’observation ? interrogea le préfet.

— Voici. Je me rendis un matin au cimetière, pour voir si le marchand de larmes était bien le dompteur de foules que je connaissais. Il se trouva que j’arrivai à la grille en même temps qu’un enterrement de deuxième classe… Je suivis, moi dernier du cortège. À peine avions-nous dépassé les premiers cyprès de la grande allée, que mon homme en sortit. Il avait son même costume de bourgeois, son costume des jours de noce et des jours d’émeute. Le noir en était un peu jauni. Le chapeau haut de forme, bien brossé, luisait de son mieux au-dessus d’un crêpe étroit. La chemise était propre ; la cravate fripée légèrement, mais à peu près blanche. L’homme avait des souliers vernis.

« Son regard allait lentement de la tête à la queue du cortège. Il m’aperçut et vint à moi, d’une démarche compassée, d’une allure triste.

« — Bonjour, monsieur Cabissol, murmura-t-il, d’une voix très basse, endeuillée.