Page:Aicard - Maurin des Maures, 1908.djvu/418

Cette page a été validée par deux contributeurs.
400
MAURIN DES MAURES

toire à lui-même ; notre esprit est encore incapable de concevoir que le conflit des forces opposées, la lutte des antinomies, vie et mort, bien et mal, est la condition même de l’ordre dans le monde. Or, malgré eux, les philosophes, dont la logique est mise en déroute par l’inexplicable, finissent par se préoccuper avant tout de paraître originaux. Il faut fonder un système qui ne ressemble pas au système des aînés, sans quoi on n’est que leur écolier, et il s’agit de se poser en maître. Nietzsche est un douloureux attendri qui porte sa robe à l’envers. De quoi est-il vêtu ? Quelles couleurs singulières ! Retournez l’étoffe de Nessus qui emprisonne sa chair et vous reconnaîtrez la pitié. Il la hait parce qu’il en meurt. Grand poète, un peu obscur, que la mort de Dieu a rendu fou, admirateur de l’énergie parce qu’il se sentait faible et de la dureté parce qu’il était trop tendre.

M. Cabissol toussa.

— La pitié, la pitié, dit-il, c’est, au bout du compte, un acte instinctif par lequel nous nous supposons à la place de l’homme qui souffre ; nous nous y voyons, par une opération imaginative qui nous fait souffrir son mal ; et c’est nous que, égoïstement, nous soulageons ou voulons soulager en lui.

— Même ainsi comprise, dit M. Rinal, la pitié est noble. Elle est la protection de chacun dans tous, de tous par chacun. Elle fait éclater aux yeux de l’esprit le mystère de l’unité dans l’innombrable.

— Les mots peuvent tout dire. Toutes les thèses se peuvent soutenir, s’écria M. Cabissol. Où est la vérité, je vous le demande ?

— Dans tout, vous dis-je ; la vie ne se trompe pas.