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MAURIN DES MAURES

Cette motte à peine rejetée derrière lui, Magaud recommençait son mouvement toujours pareil, avançant d’un pas tous les quarts d’heure.

« Magaud, depuis le jour levé, exécutait cette monotone manœuvre où, parfois, il mettait de la colère.

« — Eh bien, lui dis-je passant par là, ça se fait-il ?

« — Elle se refuse, la gueuse ! »

« Elle, c’est la terre.

« — Alors, lui dis-je, c’est trop dur ?

« — Quand ce n’est pas trop dur, répondit-il, c’est trop mou, et ça ne vaut pas mieux. »

« Sur la route, un bruit de charrette arrivait, grincement de bois et de ferraille. Je regardai derrière nous. Au tournant, là-bas, un petit âne apparut d’abord, entre deux traits de corde, tout lâches.

— Pardi ! fit Maurin, un âne n’est pas une bête ; à moins d’être tout seul, il tire le moins qu’il peut. C’est un mauvais socialiste, comme nous le sommes tous !

M. Cabissol et M. Rinal échangèrent un regard d’intelligence ; et le premier, continuant son récit :

— Un gros cheval, entre les brancards, suivait l’âne d’un air indolent.

« La charrette vide revenait du marché de la ville. Au beau milieu, assis sur une chaise, le charretier, propre, l’air cossu, fumait une pipe neuve toute blanche.

« Quand la charrette passa près de nous :

« — Adieu, Latrinque ! fit Magaud.

« — Adieu, Magaud ! » fit Latrinque.

« La charrette s’éloigna, nous cachant le petit âne et le cheval. Nous apercevions encore leurs jambes, par-dessous la charrette peinte en bleu, poudrée à blanc sur laquelle trônait Latrinque, sa pipe neuve aux dents,