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MAURIN DES MAURES

chaque fois d’un merle le nombre précédemment énoncé. Il faisait aller son chilet et ne voulait plus s’interrompre de peur d’effaroucher les oiseaux imaginaires. Et toute sa main à présent s’élevait bien haut, écartant largement les doigts : cinq ! La main se refermait ; un doigt se levait encore : encore un merle ! ça faisait six ! Et Maurin chilait toujours, en regardant M. Labarterie de temps à autre, de son œil narquois de sanglier sauvage. Et sa physionomie de joie exprimait deux choses : primo : « En vient-il, hein, des merles, quand je les appelle ! » secundo : « A-t-il une bonne tête, le candidat de Paris ! En voilà un, de merle, qui ne sera pas député ! »

Quand il eut refermé et rouvert sa main trois fois, ce qui portait à une quinzaine le nombre des merles, Maurin s’arrêta de souffler dans son chilet. Il s’écrasa sur sa chaise ; il s’y faisait petit, — et rasé, tapi jusqu’à être invisible sous les branches de la cachette, il prononça avec un accent provençal, salé :

— Il vïen pui un momein où vous êtes couver de merles !

Rien qu’à voir le chasseur, on se rendait compte qu’il en avait partout, des merles. Alors il s’écrasa davantage sur lui-même, regardant toujours dans les arbres de son rêve, en clignant toutefois, de temps à autre, un œil malin du côté de Labarterie… Et, sans perdre du regard les oiseaux innombrables qu’il croyait voir en petites silhouettes sombres sur les branches tout autour de lui et au-dessus de sa tête, il dit d’une voix très basse pour ne pas les faire envoler :

— Maintenein, je ramasse mon fusill, bien doucemein ! Vous compréné, meussieu Labarterille, si vous