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MAURIN DES MAURES

Le préfet eut un mouvement d’inquiétude ; mais le général avait de l’esprit.

— Maurin, dit-il, les savetiers d’aujourd’hui peuvent devenir généraux — sans révolution ; il ne faut pas l’oublier.

— Bien répondu ! fit Maurin. Mais tout de même, il y a beaucoup de vos bourgeois qui ne veulent plus de révolutions parce qu’ils ont profité de la première. Maintenant qu’ils sont bien, ils ne veulent plus rien pour les autres. Si vous n’êtes pas de ceux-là, tant mieux : je m’aperçois que je m’étais trompé sur vous… C’est que j’en ai connu, voyez-vous, dans nos promenades, à la chasse, qui tiraient de leur carnier des pâtés de truffes et qui ne se gênaient pas, devant nous, pour mépriser entre eux les pauvres ; et à l’un d’eux j’ai dit un jour, — j’ai dit comme ça, — j’ai dit : « Monsieur le marquis, lorsqu’on parle avec mépris des pauvres bougres, c’est peut-être un droit que l’on a, mais noum dé pas Dioù ! si l’on avait du cœur, lorsqu’on veut parler mal des crève-la-faim, faudrait d’abord cracher dans son assiette les truffes qu’on a dans sa bouche ! »

— Maurin, dit le préfet, nous pouvons allumer nos pipes. Voici le café et les liqueurs.

Maurin tira sa pipe de Cogolin, sa bonne pipe de bruyère qui lui rappelait les belles « pipières » toutes roses de la tête aux pieds, couvertes qu’elles sont de la poussière du bois des pipes et si jolies, — selon l’expression de M. Cabissol — sous leur coiffure de sphinx d’Égypte.

La conversation allait bon train, et, par les soins du préfet attentif, glissa bientôt aux histoires de chasse.

M. Labarterie demanda