pour énergumène et qu’un homme de jugement rassis, d’esprit
équilibré et sain, ne saurait prêcher l’évidence, la démontrer par
A+B sans se voir taxé d’extravagance, et menacé, à l’instant
même, de la camisole de force »… On en vient à la question du
présent procès, dans lequel La Brige est accusé d’attentat à la
pudeur. Voici, en somme, de quoi il s’agit. La Brige occupe un
appartement au premier étage du No 5 bis de l’Avenue de la
Motte-Picquet. Or pendant l’exposition de 1900, la Société des
Transports électriques installe un trottoir roulant qui passe devant
la fenêtre de cet appartement. Voici La Brige qui parle : « Et
de cet instant ce fut gai !! De huit heures du matin à onze heures
du soir, prenant par conséquent sur mon sommeil du soir si j’entendais
me coucher tôt et sur mon sommeil du matin si j’entendais
me lever tard, le trottoir — le trottoir roulant ! — se mit à
charrier devant mes fenêtres des flots de multitude entassée :
hommes, femmes, bonnes d’enfants et soldats ; tous gens d’esprit,
d’humeur joviale, qui débinaient mon mobilier, crachaient chez
moi, et glissaient de tribord à bâbord, en chantant à mon intention :
« Oh la la ! C’te gueule, c’te binette », cependant qu’échappés
à des doigts bienveillants, les noyaux de cerises pleuvaient
dans ma chambre à coucher, alternés de cacaouettes, d’olives et
de pépins de potiron ». La Brige, stupéfait, mais fort de l’article
1382 du Code Civil, assigne en référé et successivement la Société
des Transports électriques, la Commission de l’Exposition, la
ville de Paris, et enfin Tailleboudin, son propriétaire. Il perd tous
ces procès, malgré les articles 1719, 1725, 222, etc etc. Il continue
fea défense : « C’est alors que j’imaginai de me plonger dans le faux
jusqu’au cou afin d’être aussitôt dans le vrai, puisque neuf fois
sur dix, la loi, cette bonne fille, sourit à celui qui la viole ». Au
président du tribunal qui, au nom de la Justice, le rappelle au respect
de la Loi, il répond : « La Justice n’a rien à voir avec la Loi,
qui n’en est que la déformation, la charge et la parodie !! » Pour
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