Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Si ces petits escrits, bastardeaux de la France,
Eussent donné telle ame aux vers qu’ils ont chantez,
L’honneur de ceux qu’on loue eust rendu par eschange
A ces poetes menteurs ce qu’il eust reçeu d’eux :
Quant à moy vostre gloire est commune à nous deux,
Car en vous adorant je me donne louange.
Mais ceux qui, eschauffans sur un rien leurs escris,
Barbouillent par acquit les beautés d’une face
D’une grandeur obscure & d’une fade grace,
D’un crespe de louange habillent leur mespris,
Outre plus d’entamer ce qu’on ne peut parfaire,
Cacher ce qui doibt estre eslevé au plus hault,
Ne loüer la vertu de la sorte qu’il fault,
II vaudroit beaucoup mieux l’admirer & se taire.
Je me tais, je l’admire, & en pensant beaucoup,
Je ne puis commencer, car tant de graces sortent,
Se pressant sans sortir, qu’en poussant elle emportent
Mon esprit qui ne peult tout porter en un coup.
Vous avez ainsi veu un vaze de richesse
Ne pouvoir regorger alors qu’il est trop plain,
Et par un huis estroit s’entrepousser en vain
Un peuple qui ne peult ressortir pour la presse.
Parainsi en craignant que vostre œil n’excusant
Ce qui menque à mes vers, veille nommer offence
L’erreur & appeller un crime l’impuissance,
Je vous metz jusqu’aux Cieux, je loue en me taisant,
Je tairay pour briser les coups de la mort blesme,
Pour targuer vostre nom à l’injure des Cieux,
Pour surmonter l’oubly & le temps envieux,
Vostre vertu qui est sa louange elle mesme.