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Qui me presse ? d’ailleurs je say bien que mon ame
N’a point de médecins qui la peussent guerir.
Mes yeux enflez de pleurs regardent mes rideaux
Cramoisyr, esclatans du jour d’une fenestre
Qui m’offusque la veuë, & sait cliner les yeux,
Et je me resouviens des celestes flambeaux,
Comme le lis vermeil de ma dame fait naistre
Un vermeillon pareil à l’aurore des Cieulx.
Je voy mon lict qui tremble ainsi comme je fais,
Je foy trembler mon ciel, le chaslit & la frange
Et les soupirs des vens passer en tremblottant ;
Mon esprit tremble ainsi & gemist soubz le fais
D’un amour plain de vent qui muable se change
Aux vouloirs d’un cerveau plus que l’aer inconstant.
Puis quant je ne voy’ rien que mes yeux peussent voir,
Sans bastir là dessus les loix de mon martire,
Je coulle dans le lict ma pencee & mes yeux ;
Ainsi puisque mon ame essaie à concevoir
Ma fin par tous moiens, j’atten’ & je desire
Mon cors en un tumbeau, & mon esprit es Cieux.


VI.

Pressé de desespoir, mes yeux flambans, je dresse
A ma beauté cruelle & baisant par trois fois
Mon pougnard nud, je l’offre aux mains de ma deesse,
Et laschant mes soupirs en ma tremblante voix,
Ces mots coupez je presse :
Belle, pour estancher les flambeaux de ton yre,
Prens ce fer en tes mains pour m’en ouvrir le sein,
Puis mon cueur haletant hors de son lieu retire,
Et le pressant tout chault, estouffe en l’autre main
Sa vie & son martire.