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Mais considere aussi ce que tu ne vois point,
Les restes des malheurs qui sacagent mon ame.
Tu me brusle & au four de ma flame meurtriere
Tu chauffes ta froideur : tes delicates mains
Attizent mon brazier & tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de cholere.
A ce feu devorant de ton yre alumee
Ton œil enflé gemist, tu pleures à ma mort,
Mais ce n’est pas mon mal qui te deplaist si fort :
Rien n’attendrit tes yeux que mon aigre fumee.
Au moins aprés ma fin que ton ame apaisee
Bruslant le cueur, le cors, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un suplice plus doux,
Estant d’yre en ma vie en un coup espuisee.


V.

Puisque le cors blessé, mollement estendu
Sur un lit qui se courbe aux malheurs qu’il suporte
Me fait venir au ronge & gouster mes douleurs,
Mes membres, joissez du repos pretendu,
Tandis l'esprit lassé d’une douleur plus forte
Esgalle au cors bruslant ses ardentes chaleurs.
Le cors vaincu se rend, & lassé de souffrir
Ouvre au dart de la mort sa tremblante poitrine,
Estallant sur un lit ses miserables os,
Et l'esprit qui ne peult pour endurer mourir,
Dont le feu viollant jamais ne se termine,
N’a moien de trouver un lit pour son repos.
Les medecins fascheux jugent diversement
De la fin de ma vie & de l'ardante flamme
Qui mesme fait le cors pour mon ame souffrir,
Mais qui pourroit juger de l’eternel torment