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Que sa perte me soit peu gratieuse :
Faictes moy malheureux & la laissez heureuse !
Pardonnez l’inconstance & donnez à fortune
La cause de mon mal, ou laissez à ma foy
La coulpe de la rage aux amoureux commune ;
Vengez tout le forfait de Diane sur moy !
J’aime mieux habiter un enfer & me taire,
Brusler, souffrir, changer, ou vivre pour luy plaire.


IV.

O mes yeux abusez, esperance perdue,
Et vous, regars tranchans qui espiés ces lieux,
Comme je pers mes pleurs, vous perdez vostre veuë,
Les pennes de mon cueur & celles de mes yeux.
C’est remarquer en vain l'assiette & la contree
Et juger le pais où j’ay laissé mon cueur :
Mon desir s’y en volle & mon ame alteree
Y court ainsi qu’à l'eau le cerf en sa chaleur.
Ha ! cors vollé du cueur, tu brusle sans ta flamme,
Sans esprit je respire & mon pis & mon mieux,
J’affecte sans vouloir, je m’anyme sans ame,
Je vis sans avoir sang, je regarde sans yeux.
Le vent emporte en l'aer ceste plainte poussee,
Mes desirs, les regretz & les pennes de l’œil,
Les passion du cueur, les maulx de la pensee,
Et le cors delaissé ne veult que le sercueil.
J’ouvre mon estommac, une tumbe sanglante
De maux enseveliz : pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, & voy’ au fons mon cueur party en deux
Et mes poumons gravez d’une ardeur viollente,
Voy’ mon sang escumeux tout noircy par la flamme,
Mes os secz de langueur en pitoiable point