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Les uns gouteront bien l'ame de mes complaintes
Par les effetz sanglans d’une avare beauté,
Les autres penseraient mes larmes estre feintes,
De l'aigreur de mes maulx doubtans la verité.
Ha ! bien heureux espritz, cessez, je me contente,
N’espiés plus avant le sens de mes propos,
Fuiez au loin de moy, & que je me tormente
Sans troubler importun de pleurs vostre repos !
Sus ! tristes amoureux, recourons à nos armes
Pour n’en blesser aucun que nos seins malheureux,
Faisons un dur combat & noions en nos larmes
Le reste de nos jours en ces sauvages lieux.
Usons icy le fiel de nos fascheuses vies,
Horriblant de nos cris les umbres de ces bois :
Ces rochés égarés, ces fontaines suivies
Par l'echo des forestz respondront à nos voix.
Les vens continuelz, l'espais de ces nuages,
Ces estans noirs remplis d’aspiz, non de poissons,
Les cerfz craintifz, les ours & lezraes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.
Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais, forcenant leger de lieu en lieu,
Le malheur me devore, & ainsi m’extermine
Le brandon de l'Amour, l'impitoyable Dieu.
Helas ! Pans forestiers & vous Faunes sauvages,
Ne guerissez vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez vous remede aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit.
Au secours de ma vie ou à ma mort prochaine
Acourez, Déités qui habités ces lieux,
Ou soiez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les tesmoins de ma perte vos yeux.
Relégué parmy vous, je veux qu’en ma demeure
Ne soit marqué le pied d’un délicat plaisir,