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LXIV.

Je ne sçay si je doy’ estimer par raison
Le jour ou la saison ou contraire, ou heureux
Que je vy’ de ses yeux la flamme gracieuse
Empoisonner mes sens d’une douce poison.

Ses deux Souleilz me font heureux en la prison
Où loge la douceur & la peine engoisseuse,
Mais telle qu’elle soit, ou douce, ou ennuyeuse,
De la source du mal j’espère guerison.

Je n’en veux qu’à ces yeux, non aux siens, mais aux miens,
Et quand tout est bien dict, & aux miens & aux siens,
Car les traistres ont eu entr’eux intelligence :

Les siens plus cauteleux me prindrent endormy
Et les miens ne veilloyent que veillantz à demy,
Ou bien ils veilloyent trop, volantz ma patience.


LXV.

Fortune n’eust jamais tant d’inconstance,
Tant de malheur, de prompt evenement
Que j’ay de peur, de peine, de tourment,
En apprenant que c’est qu’obeissance ;

Je suis fascheux aimant vostre présence,
Trop grand Seigneur la fuyant sagement,
Je ne sçeus oncq’une fois seulement
En vous servant me donner patience,

Estant hardy, je suis fol, hazardeux,
Si je fuis sage, on m’appelle paoureux.
Voyez comment il seroit difficile

De donner loy à la fureur des ventz :
J’ay fait naufrage aux rages d’une Scylle.
Fuyant Caribde & les scyrthes mouvantz.