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X.

Bien que la guerre soit aspre, fiere & cruelle
Et qu’un doubteux combat desrobbe la douceur,
Que de deux camps meslez l’une & l’autre fureur
Perde son esperance, & puis la renouvelle,

En fin lorsque le champ par les plombs d’une grelle
Fume d’ames en haut, ensanglanté d’horreur,
Le soldat desconfit s’humilie au vainqueur,
Forçant à joinctes mains une rage mortelle.

Je suis porté par terre, & ta douce beauté
Ne me peut faire croire en toy la cruauté
Que je sen’ au frapper de ta force ennemie :

Quand je te cri’ mercy, je me metz à raison,
Tu ne veux [me] tuer, ne m’oster de prison,
Ny prendre ma rançon, ny me donner la vie.


XI.

L’Amour pour me combattre a de vous emprunté
Vostre grace celeste & vostre teint d’yvoire,
Vos yeux ardentz & doux & leur prunelle noire,
Vainqueur par vostre force & par vostre beauté

Des traicts que vous avez à ce voleur presté.
Non à vous, mais à luy il appreste une gloire,
Si tres douce au vaincu qu’il aime la victoire
Et mourir par le fer dont il est surmonté :

Madame, j’ayme mieux qu’Amour vainqueur me tue,
Me ravissant par vous, le sens, l’ame & la veue
Que si vous luy ostiez les armes & le cœur ;

Mais si vous me donnez un jour par la poignee
La beauté ennemie, & la grâce esloignee,
Lors vous triompheriez par moy d’un Dieu vainqueur.