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II.

En un petit esquif esperdu, malheureux,
Exposé à l’horreur de la mer enragee,
Je disputoy’ le sort de ma vie engagee
Avecq’ les tourbillons des bises outrageux.

Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Creve un déluge espais, & ma barque chargee
De flotz avecq’ ma vie estait my submergee,
N’ayant autre secours que mon cry vers les Cieux.

Aussitost mon vaisseau de peur & d’ondes vuide
Reçeut à mon secours le couple Tindaride,
Secours en desespoir, oportun en destresse ;

En la Mer de mes pleurs porté d’un fraile corps,
Au vent de mes souspirs pressé de mille morts,
J’ay veu l’astre beçon des yeux de ma Deesse.


III.

Miséricorde, ô Cieux, ô Dieux impitoyables,
Espouvantables flots, o vous palles frayeurs
Qui mesme avant la mort faites mourir les cœurs.
En horreur, en pitié voyez ces misérables !

Ce navire se perd, desgarny de ses cables,
Ces cables ses moyens, de ses espoirs menteurs ;
La voile est mise à bas, les plus fermes rigueurs
D’une fiere beauté sont les rocs imployables ;

Les mortels changements sont les sables mouvant,
Les sanglots sont esclairs, les souspirs font les vents,
Les attentes sans fruict sont escumeuses rives

Où aux bords de la mer les esplorés Amours
Vogans de petits bras, las & foible secours,
Aspirent en nageant à faces demivives.