Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et le terrestre espais n’estoit rien que celeste.
Jaloux & prevoiant le grand Dieu du tonnerre
Ne voullut plus souffrir l’homme estre un demi dieu
Ny suspendre en hasard son estat & son lieu,
Que la terre fust ciel & que le ciel fust terre.
Il fit des naturels deux diverses moitiés,
Couppa l’homme pour l’homme & la femme pour femme,
Le pesant du leger & le cors de son ame,
Separa d’unions, de cors & d’amitiés,
Tranchant par le milieu, ceste jumelle essence
A qui le separer apporta l’impuissance.
L’ame est l’esprit uni avecq’ le cors femelle
Dont l’homme le premier esprouvant l’union
Estoit homme plus qu’homme & sa perfection
Par l’accord de ces deux fut supernaturelle.
Perdant cest heur premier la celeste raison
Eut en horreur le cors & terrestre & prophane,
L’esprit fut gourmandé par le cors, son organe,
Et le cors de l’esprit ne fut que la prison,
Instrument seullement d’une contrainte vie,
Miserable moitié d’Androgeine partie.
Quant par desunion la force fut esteinte,
Quant ces pauvres moitiés perdirent le pouvoir,
Les Dieux furent emeuz par pitié d’y pourvoir,
Quant par leur impuissance ils perdirent la crainte,
Affin que ces moitiés peussent perpetuer
L’espece en rejoignant ceste chose egaree.
L’une & l’autre nature en son cors separee
Apprindrent par l’amour à se r’habituer,
Qui nasquit à ce point & de qui la naissance
Refit ceste union avecq’ moins de puissance.
Un jour que des grans Dieux la bande estant saisie
D’heur, de contentement, d’aise & de volupté,
Remplissoient pour Venus & sa nativité