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Aussi longtemps qu’il en sera ainsi, les suspicions exagérées, les ressentiments excessifs, les égoïsmes aveugles retiendront le pays dans un état de malaise et de turbulence, au sein duquel les fruits de nos institutions démocratiques ne pourront point mûrir.

L’ère philosophique de la France républicaine, cette ère de justice magnanime et de fraternité véritable, qui permettra au Peuple de vos ouvrir ses bras comme à l’un des siens, n’est pas venue. Sachez l’attendre. Il ne dépend ni de vous, ni de personne, de hâter cette heure de réconciliation et de paix. Mais il dépend, par malheur, de vos amis de la retarder indéfiniment ; d’empêcher, peut-être, qu’elle ne sonne pour notre génération condamnée, en dépit de ses élans généreux, à exercer des rigueurs qui ne sont dans l’âme d’aucun de nous.

J’ignore, prince, si l’on persuade les vanités blessées. Je ne sais s’il vous est possible d’imposer une autre conduite à vos partisans que nous voyons partout, dans les provinces, dans l’Assemblée, dans l’armée, souffler le venin de leurs rancunes ; insinuer par la ruse aux simples d’esprit des idées erronées ; irriter par la calomnie les défiances trop légitimes, hélas ! de ceux qui souffrent ; pousser l’agitation et à la révolte ; puis triompher sournoisement de nos calamités publiques. Aussi long-temps que vous aurez de tels adhérens, la France devra vous interdire l’entrée de ses frontières. Elle devra vous bannir, le mot est cruel, je le voudrais effacer, car vous portez la peine des crimes d’autrui. Mais n’essayez point de vous raidir contre cette nécessité fatale qui pèse sur tous. La logique de l’histoire ne compte pas avec les personnes.

L’implacable et mystérieuse loi de la solidarité des races, des castes, des familles, vous atteint dans votre vie extérieure ; elle est impuissante sur votre âme. Vous n’êtes plus prince, vous ne sauriez encore devenir citoyen ; mais vous pouvez toujours être homme, homme libre et juste devant Dieu et devant vos semblables. Suivez la voix intime qui vous parle. Allez vers le far west, mettez votre sérieuse jeunesse à l’abri des entraînements de l’ambition, à l’abri des influences mauvaises, à l’abri même du soupçon le plus lointain. Vous êtes dans une erreur, quand vous dites