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HISTOIRE

ble ; l’ouvrier n’avait pas songé encore à chercher dans les utopies communistes un remède désespéré à des maux qu’il voyait compris et allégés par les chefs d’industrie. De grands établissements de charité prévenaient la misère ou la rendaient plus tolérable. L’instruction était généralement répandue, même dans la population catholique, par suite de l’émulation des deux clergés. De fréquents changements de religion depuis la Réformation, l’usage établi de prendre alternativement les magistratures dans l’un et dans l’autre culte, y avaient enseigné une tolérance mutuelle singulièrement favorable au progrès de la liberté. Il ne faut pas oublier non plus, parmi les causes essentielles de ce progrès qui faisait de l’Alsace le pays de France le mieux préparé aux institutions républicaines, les études scientifiques dont Strasbourg est le centre et dont l’origine remonte à sa vieille université protestante. De brillantes écoles de droit et de médecine y ont continué jusqu’à nos jours ce mouvement ininterrompu de la science ; la présence des régiments d’armes savantes servait encore à l’entretenir.

Le contre-coup de la révolution de Février fut donc à peine sensible en Alsace, où tout concourait depuis longtemps, dans la pratique de la vie, à familiariser les esprits avec l’égalité républicaine. Une partie seulement de la population eut à en souffrir. Dans un grand nombre de localités, les paysans se soulevèrent contre les usuriers qui appartenaient presque tous à la religion israélite ; avant que l’autorité pût les protéger, ils furent chassés du territoire. Des villages entiers furent saccagés ; mais il ne se mêla à ces soulèvements aucune idée de politique ni de socialisme. Ce fut une vengeance brutale du débiteur sur le créancier, pas autre chose.

On n’ignore pas combien le prêt à usure cause, dans la population des campagnes, de détresse et de ruines. La passion de la propriété foncière, dont le rapport, dans les meilleures conditions, ne représente pas au delà d’un inté-