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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

avorta misérablement, et pendant toute la durée du règne de Louis-Philippe la paix extérieure ne fut plus troublée. En 1833, la Société des droits de l’homme essaya d’organiser à Rouen des sections. Mais elle ne réussit pas à embrigader au delà de 1,500 hommes que la loi de 1834 vint presque aussitôt forcer à se dissoudre. Depuis lors, la population ouvrière laissa faire à la bourgeoisie son opposition politique. En dernier lieu, elle ne parut prendre aucun intérêt au mouvement réformiste et n’inquiéta plus le pouvoir. Mais, tout à coup, en apprenant la nouvelle de la chute de Louis-Philippe, et comme à un signal attendu, 30,000 ouvriers entrèrent en grève, demandant à la fois la réduction des heures de travail, la hausse du salaire, l’interdiction du travail dans les prisons et l’expulsion des étrangers. En présence de ces exigences du prolétariat, les chefs d’industrie voyaient toutes les commandes suspendues et le crédit anéanti[1]. Personne, d’ailleurs, pas plus à Rouen qu’à Paris, n’était préparé, en aucune manière, à cette subite explosion de la crise industrielle, et l’on n’y sut trouver d’autre remède que la création des ateliers nationaux, d’où sortit incontinent la guerre civile.

M. Ledru-Rollin avait nommé commissaire dans le département de la Seine-Inférieure un avocat radical d’un talent distingué, M. Deschamps, qui, depuis bien des années, rivalisait d’influence au barreau et dans la lutte politique avec M. Sénard, dont les opinions se rapprochaient davantage du libéralisme de la bourgeoisie. C’était encore là, comme partout, la querelle du National et de la Réforme. La campagne des banquets venait d’envenimer très-fort cette querelle. Le parti radical s’était laissé battre sur la question du toast au roi, et quand M. Deschamps se présenta officiellement à Rouen en qualité de premier fonction-

  1. On a constaté que le département de la Seine-Inférieure avait perdu une valeur d’environ 100 millions pendant les premiers mois de l’année 1848.