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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ayant pris personnellement la détermination dont il s’agit. En sa qualité de ministre de l’intérieur, M. Ledru-Rollin a des déterminations à prendre, dont nous le laissons seul responsable. Mais le décret qui vous émeut a été arrêté en conseil du gouvernement, après avoir entendu les chefs naturels de la garde nationale, MM. de Courtais et Guinard. Nous nous sommes bien imaginés que cette mesure causerait une petite émotion ; mais nous n’avions pas cru que cette émotion fût aussi profonde, et que surtout elle vous déterminerait à faire une démarche qui a eu déjà ses inconvénients, mais qui en aura peut-être un bien plus grave encore. Cet inconvénient-là, vous le verrez demain. Demain, nous aurons une manifestation de la classe ouvrière pour répondre à celle de la garde nationale. Nous la calmerons, je l’espère ; mais ne pensez-vous pas qu’il serait déplorable d’établir entre les ouvriers et la garde nationale un antagonisme, quand nous voulons, au contraire, la plus grande union ? »

Le ton sévère de cette admonestation et l’annonce positive d’une démonstration populaire pour le lendemain firent tomber l’arrogance des députés. Ils se retirèrent en silence ; descendus sur la place, ils virent qu’ils avaient agi prudemment, car les masses populaires affluaient de tous côtés aux cris de Vive Ledru-Rollin ! et il n’était plus possible à la garde nationale de persister dans sa tentative insensée.

Elle se retira donc, confuse et humiliée, emportant avec elle la honte d’une démarche puérile et la désapprobation de tous les bons citoyens. Dans une révolution où les masses aveugles s’étaient montrées si promptes à l’oubli et si facilement apaisées, n’était-ce pas, en effet, une faute impardonnable à la bourgeoisie que de donner ouvertement, comme elle venait de le faire, l’exemple des rancunes et de l’esprit de vengeance ? N’était-ce pas une chose inouïe que le premier signal de la lutte entre les classes partît de celle-là même qui se prétendait commise à la défense de