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HISTOIRE

dura pas moins de deux heures, des clameurs de toute nature ne cessèrent de retentir. L’arrivée de M. Ledru-Rollin, qui se rendait à l’Hôtel de Ville dans la voiture de M. Arago, porta l’exaspération des séditieux à son comble. Mille propos insultants, mille outrages furent proférés sur le passage du ministre de l’intérieur. En vain M. Arago, penché hors de sa voiture, essayait de calmer, de ramener à la raison, au respect d’eux-mêmes ces hommes qui se disaient les défenseurs de l’ordre. « Mort à Ledru-Rollin ! » répétaient ces furieux, sans vouloir rien entendre. L’un d’eux même, en se rapprochant de la voiture, fit un geste menaçant. « Malheureux ! s’écria M. Arago en lui saisissant le bras, oubliez-vous donc qu’ici même, à cette place, périt Foulon ! » Mais que pouvaient, sur de si aveugles passions, les avertissements d’un vieillard et les souvenirs de l’histoire !

Parvenu enfin, à travers cette émeute odieuse autant que ridicule, jusqu’à l’Hôtel de Ville, M. Arago, en faisant au conseil le récit de ce qui se passe sur la place, prête une force nouvelle à l’opinion de M. de Lamartine : M. Ledru-Rollin n’essaye point de la combattre ; il désavoue les termes de la circulaire, dont il rejette la responsabilité sur M. Jules Favre, et, après que M. de Lamartine, sur les observations de M. Louis Blanc, a de son côté consenti à modifier plusieurs des expressions de sa proclamation, tous les membres du gouvernement y apposent leur signature[1]. Pendant ce temps, MM. Arago, Marrast et Buchez recevaient la députation de la garde nationale et lui exprimaient avec sévérité le blâme que méritait sa conduite. M. Arago, surtout, usant du droit que lui donnaient son âge et l’autorité de son nom, lui faisait sentir sans ménagement l’absurdité d’une pareille rébellion et les effets fâcheux qu’elle ne pouvait manquer de produire.

« On a parlé de M. Ledru-Rollin, dit M. Arago, comme

  1. Voir aux Documents historiques, la fin du volume, no 7.