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HISTOIRE

Cette seconde circulaire eut pour effet immédiat de déterminer dans Paris, et bientôt après dans les départements, un mouvement prononcé contre la République. Les petits commerçants, les petits capitalistes d’opinion libérale qui avaient accepté la République comme une conséquence un peu forcée, mais supportable, de leur opposition au gouvernement déchu, en voyant qu’on voulait exclure de la représentation nationale les anciens députés de la gauche, s’irritèrent. Plutôt que d’examiner les choses de sang-froid et d’apprécier à leur juste valeur des paroles où l’inconsidération avait plus de part que la volonté d’opprimer, ils s’en prirent à M. Ledru-Rollin de tout ce qui les effrayait ou les blessait dans le mouvement révolutionnaire et, pour résumer tous leurs déplaisirs en une brève formule, ils l’accusèrent de communisme.

De son côté, la majorité du conseil blâmait M. Ledru-Rollin et se déclarait offensée de ce que le ministre n’avait pas jugé convenable de lui soumettre un acte de cette importance. M. de Lamartine surtout, qui voyait avec une inquiétude extrême l’irritation de part et d’autre aller croissant, tout en exprimant très-ouvertement à M. Ledru-Rollin sa désapprobation personnelle, tentait de sincères efforts pour l’arrêter dans la voie où son entourage le poussait et pour empêcher l’éclat d’une scission dans le gouvernement provisoire. « Vos circulaires, disait-il au ministre de l’intérieur dans leurs entretiens particuliers, font plus de mal à la République que dix batailles perdues, car elles réveillent dans le pays les souvenirs d’un temps que le peuple lui-même a voulu répudier ; elles détruisent tout l’effet que sa modération a produit sur l’opinion ; elles aliènent à la République, en lui faisant parler un langage dictatorial, tous les citoyens qu’une politique libérale et généreuse lui avait conciliés dès sa première heure. »

Par moments, l’éloquence de M. de Lamartine persuadait M. Ledru-Rollin, dont l’intelligence ne se fermait pas volontairement à la vérité ; mais, dès qu’il retrouvait son