Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/451

Cette page a été validée par deux contributeurs.
447
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

exposaient ainsi ; déshonorées, outragées, au feu de la troupe. Des cantinières soudoyées versaient aux soldats de l’eau-de-vie empoisonnée. Des marchands de tabac leur vendaient des cigares imbibés dans des substances vénéneuses. On avait vu un insurgé faire du crâne d’un soldat de la ligne, qu’il avait rempli de suif, un effroyable fanal, que ses camarades avaient promené en chantant le refrain : « Des lampions. » D’autres avaient enduit de térébenthine le corps d’un officier et l’avaient allumé tout vivant. On avait fabriqué enfin, avec un art infernal, des projectiles dont la forme et la composition, inconnues jusque-là, rendaient la douleur des blessures intolérable et les plaies mortelles.

On peut se figurer jusqu’à quel point de semblables calomnies, répétées chaque jour, exaspéraient les esprits. De fréquents accidents les accréditaient. La violence des passions, la peur surtout, la stupéfaction des honnêtes gens leur donnaient une puissance funeste[1].

  1. L’historien est heureux de pouvoir aujourd’hui effacer, anéantir ces calomnies, qu’alors on osait à peine révoquer en doute. Il est maintenant avéré que les prisonniers, faits par les insurgés, n’eurent à subir aucun mauvais traitement. D’après les preuves les plus authentiques tirées de l’ensemble des interrogatoires subis, pendant trois mois consécutifs, devant les commissions militaires, d’après les rapports unanimes des maires et des commissaires de police, d’après le témoignage des principaux médecins et chirurgiens attachés aux hôpitaux civils et militaires, entre autres ceux de M. le docteur Pelouse, de M. Jacquemin, chirurgien en chef des hôpitaux, de M. le docteur Héreau, de M. de Guise, chirurgien en chef de la garde nationale, ni les insurgés ni les soldats ni la garde mobile ne commirent les atrocités qui leur furent imputées. Les drapeaux, pris en grand nombre sur l’insurrection et gardés à la présidence de l’Assemblée, ne portaient, pour la plupart, que le numéro de la compagnie des ateliers nationaux à laquelle ils appartenaient. Sur quelques-uns, on lisait ces mots sacramentels du prolétariat : « Organisation du travail par l’association. » Sur d’autres encore : « Abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, » ou, comme pour repousser l’accusation de pillage : « Respect aux propriétés ; mort aux voleurs. » Quant aux blessures profondes et si souvent mortelles que les chirurgiens constatèrent d’abord avec surprise, ils ne tardèrent pas à en trouver l’explication naturelle.