Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
HISTOIRE

l’industrie. Les huissiers, en tenue officielle, vêtus de noir, l’épée au côté, étaient venus reprendre, dans l’assemblée des vestes et des blouses, l’office qu’ils remplissaient huit jours auparavant auprès des habits brodés ; et cette invariabilité dans l’appareil du pouvoir, quand le pouvoir même avait pour ainsi dire changé de pôle, mettait en saillie, de la manière la plus pittoresque, l’élément comique presque toujours mêlé aux plus tragiques vicissitudes de l’histoire.

Le 1er mars, à neuf heures du matin, deux cents délégués des différentes corporations ouvrières prenaient place sur les siéges de cette pairie, chargée naguère de condamner à la mort et au cachot les soldats et les confesseurs de l’égalité républicaine. M. Louis Blanc occupait le fauteuil du chancelier duc Pasquier. L’ouvrier Albert, en qualité de vice-président, était assis au bureau, à ses côtés. M. Louis Blanc nous dit lui-même[1] qu’il éprouva en ce moment une impression solennelle et profonde ; mais combien cette impression eût été douloureuse, si la joie qu’il ressentait à présider au triomphe extérieur de ses idées lui eût permis de voir, dans un avenir bien rapproché, l’impuissance d’un système et d’une volonté, si énergique quelle fût, à changer les conditions essentielles de la vie sociale. Bien que M. Louis Blanc eût deviné les motifs qui déterminaient le gouvernement provisoire à lui faire tenir, loin de l’Hôtel de Ville, ce qu’il nomma plus tard les assises de la faim, il croyait néanmoins, et cette croyance très-vive faisait tout à la fois sa force et sa faiblesse, qu’il s’emparait ainsi de la révolution sociale et s’imposait à l’opinion. M. Louis Blanc avait trop d’élévation dans l’esprit pour jouer, comme M. Ledru-Rollin, à la terreur ; il respectait trop sincèrement le peuple[2] pour le vouloir faire servir d’instrument à

  1. Voir Pages d’histoire, p. 49.
  2. Un jour, dans un entretien intime, M. Louis Blanc, parlant des sentiments que lui inspiraient les prolétaires jusque dans leurs fautes ou leurs erreurs, dit ce mot d’un sens profond et qui mérite d’être cité : « J’aime le peuple, non pas tant pour ce qu’il est que pour ce qu’on l’empêche d’être ! »