Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.
352
HISTOIRE

L’Assemblée ne songe guère en ce moment à l’Algérie ; elle pense aux ateliers nationaux, au paupérisme, à la révolution sociale. On sait que M. Pierre Leroux est l’un des apôtres les plus populaires du socialisme ; plusieurs se disent que, peut-être, il ne tient qu’à lui d’allumer ou d’éteindre les brandons de la guerre civile. Peut-être, va-t-il exposer un moyen de satisfaire les ouvriers sans ruiner les chefs d’industrie ; peut-être, possède-t-il le secret de faire transiger le capital et le travail, de réconcilier les intérêts en lutte. On écoute. M. Pierre Leroux, laissant promptement de côté le prétexte de son discours, entre en plein dans le sentiment qu’il lit sur les physionomies. Il annonce qu’il va prendre les choses particulièrement dans leurs rapports avec la France.

Il débute par poser en fait et en principe que la France a besoin de colonisation, de migrations ; qu’il lui faut des communes républicaines ; qu’elle a besoin de faire sortir de son sein tout un peuple qui demande une civilisation nouvelle. Puis, voyant l’attention excitée par ses premières paroles, et s’abandonnant à l’inspiration intérieure :

« Je dis, reprend-il avec autorité, en se tournant vers la droite, que si vous ne voulez pas admettre cela ; si vous ne voulez pas sortir de l’ancienne économie politique ; si vous voulez absolument anéantir toutes les promesses, non pas seulement de la dernière révolution, mais de tous les temps de la révolution française dans toute sa grandeur ; si vous ne voulez pas que le christianisme lui-même fasse un pas nouveau ; si vous ne voulez pas de l’association humaine, je dis que vous exposez la civilisation ancienne à mourir dans une agonie terrible. »

Une sorte de frayeur anticipée émeut l’Assemblée. L’orateur continue. Après avoir produit une statistique, heureusement très-exagérée, du paupérisme[1] ; après avoir examiné

  1. Selon cette statistique, il y aurait en France, sur trente-cinq millions d’hommes, huit millions de mendiants et d’indigents ; sur trois hommes qui meurent à Paris, il y en aurait un qui meurt à