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HISTOIRE

en grande partie les paroles et les actes provocants qui, tout à l’heure, vont tomber sur les esprits, comme l’étincelle sur la poudre, et faire éclater la plus calamiteuse des insurrections. Cet esprit dangereux s’insinue dans les salons, dans les clubs, dans l’Assemblée, dans le gouvernement. Il faut en finir ! tel est le mot qu’on entend prononcer partout.

La commission exécutive se laisse aller, comme nous venons de le voir, au mouvement de réaction violente qui se fait contre les ateliers nationaux. Le temps, d’ailleurs, a dissipé ses illusions. Elle ne se sent plus maîtresse de cette foule ; elle se défie de son chef, M. Émile Thomas. Dans sa déroute politique, elle s’en prend à tout, hormis à ses propres fautes.

En ce qui concernait M. Émile Thomas, les soupçons de la commission n’étaient pas sans fondement, seulement ses craintes étaient exagérées. Le directeur des ateliers montrait beaucoup de présomption, mais il exerçait peu d’autorité réelle sur les ouvriers. Il avait longtemps combattu en vain l’influence croissante de M. Louis Blanc ; il se laissait maintenant circonvenir par M. de Falloux et par les amis du prince Louis Bonaparte. Les brigadiers, les lieutenants, les chefs d’escouade et de compagnie, dont beaucoup étaient d’anciens militaires, avaient seuls de l’ascendant sur les ouvriers. Quoi qu’il en fût, le ministre des travaux publics et M. Garnier-Pagès conçurent un jour la singulière pensée de se délivrer de M. Émile Thomas, en le faisant enlever de vive force. Le procédé des lettres de cachet fut remis en pratique de la manière que nous allons voir, sans que, dans le moment même, ni plus tard, le public ait jamais eu l’explication de cette violation de la liberté individuelle, si peu d’accord avec l’ensemble des actes du gouvernement.

Le 26 mai au soir, M. Émile Thomas est mandé au ministère des travaux publics. Une voiture attelée attend dans la cour. Un commissaire de police et deux officiers de paix