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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Delahodde sans aucune forme judiciaire, et cela dans Paris, au dix-neuvième siècle, n’est-ce pas assez pour montrer la manière excentrique dont certains hommes interprétaient la révolution, et comment, par leur mépris affecté des formes sociales, ils donnaient prise à l’opinion contre les républicains et contre la République[1] ?

Dans ces mêmes jours, une cérémonie pieuse eut lieu au cimetière de Saint-Mandé où reposent les cendres d’Armand Carrel. Les républicains avaient décidé de rendre un hommage public à la mémoire d’un des hommes les plus chevaleresques qu’ils eussent comptés dans leurs rangs. Des députations des écoles, des détachements de toutes les légions de la garde nationale, des délégués de tous les journaux, de nombreux citoyens formèrent un cortége imposant qui partit de l’Hôtel de Ville et s’achemina lentement vers Saint-Mandé, ayant à sa tête M. Marrast. On crut devoir inviter à cette solennité le rédacteur en chef de la Presse, l’adversaire malheureux d’Armand Carrel[2]. M. de Girardin, que tentait tout ce qui avait une apparence de singularité et d’audace, avait répondu avec empressement à cet appel. Arrivé au cimetière, on fit cercle autour de la tombe, et M. de Girardin, prenant la parole, proposa comme l’hommage le plus digne d’un homme tombé victime d’un préjugé barbare, de demander au gouvernement provisoire qu’il complétât l’œuvre d’humanité commencée par l’abolition de la peine de mort, en proscrivant le duel. « Nous

  1. Les révolutionnaires de cette école firent un tort considérable à la République en se persuadant qu’il y allait de leur honneur de heurter à tout propos l’opinion. Ils oubliaient que « l’opinion publique, dans un temps de révolution, doit être excessivement ménagée ; qu’il faut la recueillir avant de la fortifier, et la seconder plutôt que l’exciter. » (Mirabeau, Correspondance avec le comte de Lamarck, v. II, p. 216.)
  2. Les amis les plus intimes d’Armand Carrel ont rendu cette justice à M. de Girardin de reconnaître qu’il ne fut aucunement provocateur dans cette malheureuse affaire, qu’il se conduisit pendant les pourparlers et sur le terrain en homme de sens, de courage et d’honneur.