Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/328

Cette page a été validée par deux contributeurs.
324
HISTOIRE

À son tour, le général Bedeau, dans le même sentiment que le général Cavaignac, et en rappelant ses paroles, vient repousser au nom de l’armée les imputations dont elle a été l’objet. « La force armée, en France, dit-il, est essentiellement intelligente ; elle est passive dans l’accomplissement d’un ordre dont elle a compris la légalité, mais jamais elle ne sera aveuglée par le prisme d’un prétendant quelconque. Un chef quelconque qui s’imaginerait trouver dans une influence secondaire la possibilité de tromper l’armée, le jour où il voudrait exciter de criminelles tentatives, l’armée elle-même le mettrait en accusation. » Ces paroles sont couvertes d’applaudissements ; mais tout à coup, au moment où l’on s’y attend le moins, le général Bedeau tourne son discours contre la commission exécutive. Il parle de ses divisions, qui paralysent l’action gouvernementale ; il insiste sur l’inefficacité de la forme actuelle. Insinuant qu’il est urgent de la modifier, il indique d’une manière assez peu voilée qu’un seul chef, et à ce moment un seul c’est le général Cavaignac, peut exercer un pouvoir assez fort pour comprimer les factions.

C’est l’instant que choisit M. de Lamartine pour monter à la tribune ; il n’a pas sa sérénité habituelle, son visage est pâle, contracté. Lui, obligé de venir se défendre devant l’Assemblée ! Quelle nouveauté dans sa carrière politique et comme on voit qu’elle le trouble ! Il commence une longue justification des actes du gouvernement provisoire, remonte jusqu’à la proclamation de la République, rappelle le drapeau rouge écarté. On l’écoute avec froideur ; on le trouve prolixe, emphatique. Il se glace en parlant ; il voit son auditoire distrait, inattentif, et demande enfin, sous prétexte qu’il a besoin de repos, la suspension de la séance. Pendant cette suspension une agitation sourde se répand dans l’Assemblée. On est inquiet, on s’interroge. Qu’y a-t-il de fondé dans toutes ces alarmes, dans ces accusations réciproques ? Pourquoi cet appareil militaire ? Que se passe-t-il au dehors ? On parle d’une collision engagée entre la troupe