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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

M. Bastide, mis en demeure de se prononcer sur la conduite que le gouvernement veut tenir, répond avec embarras ; il pose bien en principe que la France, par sa position géographique et son génie national, doit être à la tête d’une fédération de peuples libres ; il affirme que c’est là son avenir et celui de l’Europe ; il fait bien la déclaration obligée que les traités de 1815 n’existent plus ; il ajoute même que la carte de l’Europe, telle que ces traités odieux l’ont faite, est aujourd’hui une lettre morte ; mais il se hâte de conclure que ce n’est pas à la France seule qu’il appartient de la refaire ; il fait entrevoir dans un avenir indéfini un congrès européen ; il insiste surtout très-particulièrement sur la force que la République doit puiser dans sa modération et dans sa sagesse.

Une pareille réponse ressemble beaucoup à une défaite. M. d’Aragon le comprend ainsi, car il remonte à la tribune pour mieux préciser sa question et demande très-explicitement : « Si le gouvernement emploie les moyens nécessaires pour obtenir des concessions de l’Autriche, et s’il est suffisamment préparé dans le cas où l’Italie demanderait une intervention. » Comme ces mots étaient prononcés, M. de Lamartine prenait place à son banc. Il venait de parler à voix basse au président, l’avait instruit de ce qui se passait au dehors, en l’engageant à prendre au plus vite des mesures pour prévenir un désordre populaire. Ce n’était pas le moment de traiter à fond une question diplomatique ; aussi, M. de Lamartine, ajournant à une séance prochaine les explications, céde-t-il la tribune à M. Wolowski pour les interpellations annoncées sur les affaires de la Pologne.

Déjà des bruits alarmants circulent ; on dit qu’une grande masse de peuple remplit la place de la Concorde ; qu’elle s’avance ; qu’elle semble vouloir se porter vers la Chambre ; une certaine agitation se peint sur les physionomies ; l’orateur lui-même n’en est pas exempt ; il voit qu’il n’est guère écouté, et, tout en prononçant quelques banalités sur le dévouement de l’Assemblée à la cause polonaise,