Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

majorité, le gouvernement d’urgence sorti de l’insurrection avait pour tâche uniquement d’aider la nation à se donner un pouvoir légal et, en attendant qu’il fût formé, d’administrer la chose publique, sans s’immiscer dans la législation, sans rien préjuger, sans anticiper en aucune manière sur les décisions de l’Assemblée nationale, pas même par la proclamation de la République.

Dans l’un comme dans l’autre de ces jugements, je trouve quelque chose de trop absolu.

Après trente années de règne constitutionnel, dans un temps et dans un pays où les mœurs ne permettaient pas les violences systématiques, la dictature exercée par onze hommes aussi divisés entre eux que l’étaient les différentes classes de la nation entre elles, c’était une conception chimérique. L’administration pure et simple des affaires, cette espèce d’arbitrage, de justice de paix sans initiative, en était une autre non moins absurde, dans un moment où le besoin d’agir, de se répandre, de s’organiser, poussait chaque jour des masses de prolétaires armés sur la place publique, où la soif des nouveautés s’était emparée des imaginations, de telle sorte qu’il fallait se hâter de la satisfaire, sous peine de la voir dégénérer en fureur. La raison d’État commandait, en des circonstances si compliquées et si graves, d’abréger la durée d’un pouvoir né fortuitement d’une nécessité temporaire ; mais elle commandait également d’ouvrir au plus vite de larges issues à l’esprit révolutionnaire qui, depuis 1789, n’a jamais reculé en France que pour revenir à la charge avec une intensité redoublée, et de lui donner toutes les satisfactions que ne repoussait pas la conscience publique.

C’était là une question d’appréciation infiniment délicate. Il aurait fallu aux hommes du gouvernement provisoire un don singulier d’intuition pour reconnaître, dans la multitude des exigences, des vœux, des avis dont ils se voyaient assaillis à toute heure, les idées susceptibles d’être formulées en lois, autrement dit, les idées qui trouvaient