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distinction que vous signalez avec raison comme la cause de l’état déplorable dans lequel languissent actuellement les colonies !

Ces vœux que je forme avec vous doivent vous prouver qu’il se trouve parmi les colons blancs des hommes qui veulent être justes. Oui, Monsieur, nous ne sommes pas tous étrangers aux sentimens d’humanité ; il est encore des chrétiens parmi nous. Vous paraissez le reconnaître, quand vous louez la philantropie de MM. Dubuc, Dugué, Defourneaux et autres ; mais vous restreignez tellement le nombre des justes que je ne puis me dispenser de vous en faire un reproche.

Je vous adresserai encore un autre reproche. Vous dites, page 59 de votre Mémoire : La reconnaissance n’est pas la vertu des créoles. Si quelques habitans de la Martinique ont persécuté, Monsieur, les hommes de couleur qui leur avaient rendu de grands services, ils sont coupables sans doute ; mais leur crime, si c’en est un, doit-il être un motif pour déclarer à la France que la masse des créoles est privée de la plus noble des vertus ? Comme habitant de la Guadeloupe, je dois repousser cette assertion qui jette quelque chose d’odieux sur le caractère de mes compatriotes ; je le dois encore, Monsieur, comme ami de la vérité ; et pour le faire avec succès, je n’ai qu’à annoncer un fait notoire, c’est qu’il n’est pas un seul Guadeloupéen qui ne vénère la mémoire de Pélage, homme de couleur, par qui les familles créoles ont été défendues contre les coutelas des Nègres, et dont le courage, plus encore que l’habileté du général Richepanse, a conservé la Guadeloupe à la France.

Si vous reconnaissez, Monsieur, comme j’ai lieu de l’espérer, que la conduite coupable des habitans de la Martinique envers leurs généreux défenseurs ne peut être une preuve de l’ingratitude de tous les créoles, vous reconnaîtrez aussi que c’est à tort que vous les déclarez tous ingrats, et vous réparerez ce tort que vous leur faites avec si peu de justice.

L’avocat distingué qui entreprend avec un si grand zèle la tâche périlleuse de défendre les droits de l’humanité indignement foulés, ne voudra certainement pas paraître injuste lui-même.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération.

Un habitant blanc de la Guadeloupe.

XII. Extrait d’une lettre écrite à M. Isambert par M. Bissette.

Brest, 9 juillet 1824.

Ce que vous dites de moi, Monsieur, n’est que trop vrai, et me rappelle, hélas, de tristes souvenirs !… 14 octobre 1822,