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On porte à quatre-vingt mille le nombre des prisonniers d’État dans les affaires du jansénisme.

Aujourd’hui, disait en 1770 la Cour des aides, par l’organe de l’illustre Malesherbes, dans ses remontrances au roi : « Aujourd’hui on croit les lettres de cachet nécessaires toutes les fois qu’un homme du peuple a manqué au respect dû à une personne considérable, comme si les gens puissans n’avaient pas déjà assez d’avantages. C’est aussi la punition ordinaire des discours indiscrets ; car on n’a jamais de preuve que la délation, preuve toujours incertaine, puisqu’un délateur est toujours un témoin suspect.

« Il est notoire que l’on fait intervenir des ordres supérieurs dans toutes les affaires qui intéressent des particuliers un peu connus, sans qu’elles aient aucun rapport ni à Votre Majesté personnellement, ni à l’ordre public ; et cet usage est si généralement établi, que tout homme qui jouit de quelque considération croirait au-dessous de lui de demander la réparation d’une injure à la justice ordinaire… Ces ordres sont souvent remplis de noms obscurs que Votre Majesté n’a jamais pu connaître… Il en résulte, Sire, qu’aucun citoyen dans votre royaume n’est assuré de ne pas voir sa liberté sacrifiée ; car personne n’est assez grand pour être à l’abri de la haine d’un ministre, ni assez petit pour n’être pas digne de celle d’un commis. »

Il faut dire, à l’honneur de l’ancienne magistrature, qu’elle protesta constamment contre l’usage des lettres de cachet ; elle fit mieux, elle condamnait ceux qui les sollicitaient et les exécutaient à des dommages et intérêts considérables. Voyez notamment au nouveau Répertoire un arrêt rendu à la grande chambre du Parlement le 9 avril 1770 contre Latour du Roch, qui le condamne à 20, 000 francs de dommages et intérêts. M. D’Espréménil s’était signalé par son zèle à cet égard ; il ne connaissait pas une lettre de cachet,