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et de celle de leurs enfans. Que répondraient les blancs, si ceux auxquels on conteste la liberté, les sommaient d’avoir à justifier eux-mêmes devant Dieu et devant les hommes de la légitimité de l’esclavage ?

Qu’est-il arrivé ? Que des hommes en possession de la liberté depuis un temps plus que suffisant pour acquérir la prescription, sont retombés dans l’esclavage. Un arrêt du conseil supérieur du Cap, du 7 février 1770, condamna un mulâtre à rentrer dans la servitude, après quarante ans de possession ; son mariage était nul, et ses six enfans bâtards. Cet arrêt parut si odieux, que le gouverneur accorda la liberté à ce mulâtre, mais sans tirer à conséquence pour l’avenir. C’est un moyen de tenir les hommes de couleur dans la terreur et de les humilier.

Ne suffit-il que Dieu ait gravé sur la figure de l’homme sa dignité et sa liberté naturelle[1] ; et n’est-il pas affligeant, que ce soit au nom et dans l’intérêt d’un gouvernement, qui déclare, par l’organe de ses ministres, que la traite est un crime, que l’on poursuive ainsi, sous le nom d’épaves, des malheureux que les anciennes lois coloniales elles-mêmes réputaient affranchis de droit à l’âge de vingt-un ans ?

Le but de tous ces réglemens est évident ; on a voulu leur ravir le plus précieux des biens, la liberté que Louis XIII et que Louis XIV croyaient leur avoir assurée pour toujours. Car, qu’est-ce qu’une liberté soumise à de telles restrictions ? elle est quelquefois pire que l’esclavage ; et dans le fait, il est certain que beaucoup d’hommes de couleur libres, pour obtenir le paiement leurs créances contre les blancs, et pour éviter de perpétuelles avanies, se mettent sous la protection[2] et se disent les esclaves des créoles qui quelquefois en ont cruellement abusé.

  1. Os homini sublime dédit, cœlumque tueri
    Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus. (Ovide.)
  2. Dans tous les pays où il y a plusieurs castes, la législation