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proposée ; les colons, quelle que soit leur couleur, peuvent-ils être déportés extra-judiciairement ?

Enlever un homme de son domicile, le séparer de ses propriétés, l’arracher à sa famille, le jeter hors de sa patrie, le conduire dans une terre d’exil et l’y enchaîner ; certes, c’est là une grave atteinte portée à la liberté individuelle. A-t-on pu se la permettre sans une loi qui l’autorisât ? Certes non, et cette réponse part du cœur plus encore que de l’esprit.

Or, que l’on parcoure toutes les lois dont se compose le code des colonies, on n’en trouvera aucune qui autorise les déportations sans jugement ; du moins le conseil n’en connaît-il pas ? Les déportations extra-judiciaires sont donc illégales ; elles sont donc un attentat à la liberté individuelle, liberté garantie par le droit public des Français.

On objecte l’ordonnance, ou plutôt la prétendue ordonnance du 10 septembre 1817.

Une ordonnance royale mérite, sans doute, tous nos respects ; mais cependant les jurisconsultes ont le droit d’en discuter la légalité : 1o  parce que le roi peut avoir été induit en erreur par ses ministres, 2o  parce que ses ministres eux-mêmes peuvent avoir été trompés ; en supposant que celle du 10 septembre 1817, eût été publiée dans les formes légales, les soussignés ne sauraient admettre qu’elle ait pu autoriser des déportations sans jugemens, et cela sous deux rapports. D’abord en droit, ils ne peuvent penser qu’une ordonnance du roi suffise pour établir et faire prononcer des peines aussi graves ; autrement il faudrait dire que Louis XVIII, roi constitutionnel de la France proprement dite, est monarque[1] absolu de ses colonies, qualification qu’il repousserait lui-même si on voulait la lui donner, car c’est lui qui a déclaré qu’il ne voulait régner que par la Charte ; et

  1. Resterait à examiner si le pouvoir absolu n’est pas illégitime partout où il exerce son empire de fait.