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sur le champ de bataille colonial ; nous y verrons les gens libres, qui forment la majeure partie de la milice, voler où le danger les appelle, combattre vaillamment, recevoir de graves blessures, se traîner jusqu’à la porte des hôpitaux, et en être impitoyablement chassés par les privilégiés, qui seuls y sont admis, et dont ils viennent de défendre les propriétés.

On serait presque tenté de s’imaginer qu’une classe qui est traitée avec tant d’injustice et de mépris, qu’une classe qui est exclue des lieux d’agrément et des établissemens utiles ou bienfaisans, ne paie aucune contribution. On ne sera donc pas peu surpris d’apprendre que les gens de couleur libres possèdent de vastes propriétés, font de grandes opérations commerciales, et ne sont pas les moins fortement imposés.

Nous venons de révéler des faits d’une injustice révoltante ; nous aurions désiré n’avoir eu aucune plainte à faire contre les privilégiés, d’autant plus qu’il est parmi eux plus d’un homme de bien qui gémit sur le sort des gens de couleur libres’[1]. Mais nous avons dû déchirer le voile qui cachait

  1. M. DUBUC-DUFFERRET (André), capitaine de frégate en retraite, chevalier de Saint-Louis, propriétaire à la Martinique, vient de publier un projet d’amélioration coloniale, remarquable par la justesse des vues et la lucidité des idées. Dans cet opuscule, il s’élève contre cet ordre de choses qui met les intérêts privés en opposition avec les sentimens de l’humanité.

    Il propose une caisse d’amortissement destinée à racheter des esclaves qui seraient, immédiatement après, déclarés libres par le gouvernement. Il cite l’article 59 de l’ordonnance de 1685, qui accorde aux affranchis les droits et prérogatives dont jouissent les colons blancs. « Pourquoi, dit-il, refuserait-on, sous le prince le plus éclairé de l’Europe, ce que Louis XIV jugea à propos d’accorder ? »

    M. Dubuc-Dufferret a géré, pendant seize*ans consécutifs, sa propriété à la Martinique. Il a eu à son service des charpentiers européens, des ouvriers créoles de toutes espèces, et n’a eu aucun sujet de mécontentement ni des uns ni des autres. (La raison en est fort simple, c’est que M. Dubuc-Dufferret est plein de droiture et d’humanité.)

    Il propose, en outre, que le gouvernement ratifie sans frais les émancipations faites par les colons ; qu’on établisse des écoles gratuites pour former les jeunes affranchis ; que toute punition corporelle soit absolument défendue à l’égard des esclaves. Enfin, après avoir présenté quelques autres vues administratives, et fait sentir que les intérêts des colons ne sauraient être compromis « si nos colonies étaient cultivées par des mains affranchies et intéressées, non-seulement à en maintenir, mais à en accroître la prospérité, » M. Dubuc termine ainsi :

    « Comme je suis particulièrement intéressé à la conservation des colonies françaises, les catastrophes dont la Martinique est depuis quelque temps le théâtre, me font une loi d’avertir publiquement, d’après mon expérience du caractère de l’Africain, que ce ne sera jamais par la sévérité du régime et par des supplices que l’on parviendra à lui faire vouloir la prospérité de son maître ; l’on y réussira bien plus efficacement en le faisant participer, par les moyens que j’indique, ou par d’autres analogues, aux profits d’une administration juste et paternelle. Le succès serait bien plus assuré si le gouvernement français, s’éclairant sur ses véritables intérêts, rela-