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On suppose sans doute que celle rétribution exorbitante n’a été créée que par des vues politiques. Mais était-il bien éclairé ce gouvernement qui, en s’opposant à l’émancipation des gens de couleur, se privait des ressources industrielles et financières qu’il aurait infailliblement trouvées chez une classe laborieuse, qui, liée par la reconnaissance, se serait entièrement dévouée à sa cause, et aurait puissamment contribué à sa prospérité ?

Si de ces graves considérations nous descendons aux réglemens de la police subalterne, nous y verrons dominer le même esprit de haine et d’injustice, et beaucoup plus de petitesse et de ridicule. Une police malveillante et souvent perfide y épie jusqu’aux démarches les plus insignifiantes des gens de couleur libres. Si nous disions qu’il est défendu de les qualifier de sieur et dame[1], et qu’il ne leur est pas permis de se réunir en famille, de rire, chanter, danser, célébrer un mariage ou une naissance[2], sans la permission du procureur du roi, on ne verrait que du ridicule dans une mesure aussi étrange. Mais on sera forcé d’y voir autre chose, lorsqu’on saura qu’il y a une amende de 300 liv., et contre celui qui aura proposé la réunion, et contre le maître de la maison où elle aura eu lieu, et une de 100 livres contre chacun des assistans. Comme il est des personnes qui pourraient s’imaginer que les gens de couleur libres sont traités avec indulgence dans ces circonstances, ainsi que dans d’autres, nous leur dirons qu’il existe une dépêche ministérielle de M. le comte de la Luzerne, du 3 juillet 1788, qui ordonne aux administrateurs de la Guadeloupe de mettre fin à l’avidité des juges, qui imposent des taxes exorbitantes, et s’attribuent la plus grande partie du produit des confiscations.

Si nous continuons à nous occuper des odieuses distinctions auxquelles les gens de couleur libres sont condamnés, nous les verrons exclus de certaines places, de certaines promenades publiques ; nous les verrons relégués dans les salles de spectacles parmi leurs domestiques, avec qui il leur est cependant défendu de se trouver en public, sous peine de fortes amendes ; de boire ou manger, s’ils sont esclaves, sous peine d’être chassés de la colonie. Si du spectacle nous entrons à l’église, nous y verrons nos humbles et pieux privilégiés étaler leur morgue jusqu’aux pieds des autels, et n’en permettre l’approche aux gens de couleur libres qu’après s’être retirés eux-mêmes. Mais sortons du lieu saint, et transportons-nous

  1. Voyez l’arrêt du conseil souverain du 6 novembre 1781.
  2. Voyez l’ordonnance de 1783, et celle du capitaine-général Vilaret-Joyeuse, sur la police.