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libres n’y participent presque à aucun de ses bienfaits. Au reste, veut-on savoir comment la justice est administrée à leur égard ? nous allons citer des exemples.

Une femme de couleur, nommée Sophie, ayant obtenu sa liberté, ainsi que celle de ses enfans, usa des droits que son nouvel état lui donnait. À force de travail, d’intelligence et d’économie, elle put acheter une propriété que des contrats de vente bien stipulés, bien cimentés, devaient lui assurer irrévocablement. Mais on va voir comment les choses se passèrent. Le colon qui avait accordé la liberté a Sophie, en se conformant à toutes les formalités voulues, étant mort, un cousin vint pour en recueillir la succession. Sa sordide avidité l’engagea à réclamer la propriété que cette femme avait achetée depuis qu’elle était libre, et même du vivant de son ancien maître. On s’imagine que la cour de justice rejeta une demande aussi inique que révoltante ; pas du tout : elle conclut que Sophie, n’ayant pu, depuis qu’elle était libre, gagner assez pour acheter ce qu’elle possédait, elle avait dû nécessairement voler son ancien maître pour faire cette acquisition. Ainsi la cour de justice, par un arrêt aussi inattendu qu’inexplicable, dépouilla cette malheureuse de sa propriété, et la donna à celui qui ne put la recevoir qu’en violant toutes les lois divines et humaines. L’infortunée mourut quelque temps après de chagrin et de misère, et ses enfans sont réduits à la mendicité. Nous le demandons, où est l’article du Code qui prescrit à un tribunal de rechercher par quels moyens un individu quelconque a pu faire des achats ?

Mais si le lecteur allait supposer que le tribunal, ayant consulté la voix publique, ne dépouilla Sophie de sa propriété qu’après s’être convaincu, par la déposition de témoins oculaires, qu’elle l’avait acquise par des voies injustes, le fait suivant le tirera de son erreur.

Une femme libre de couleur acheta, il y a trente ans, une propriété foncière, qu’elle paya exactement, et de laquelle des contrats stipulés en bonne et due forme lui assuraient la tranquille possession. Elle en jouit en effet sans contestation, et la laissa en mourant à sa fille qui ne fut également inquiétée en aucune manière, et qui, à son tour, la transmit à ses enfans. Mais les choses changèrent alors de face. Un blanc, chargé d’une tutelle par un motif que nous ne voulons pas approfondir, eut l’ingénieuse idée de les attaquer en déguerpissement. Il donna donc pour prétexte que leur aïeule n’avait pu acheter une propriété qu’avec l’argent qu’elle avait sans doute soustrait au grand-père de ses pupilles, avant que celui-ci l’eut affranchie. Ainsi il demanda que cette propriété fut adjugée aux enfans blancs mineurs qu’il représentait. On suppose qu’une assertion aussi gratuite, assertion qu’il était