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été endurci ou dégradé par le préjugé, fait tous ses efforts pour soustraire ses enfans de couleur aux rigueurs de l’arrêté cité plus haut. Il emploie donc le seul moyen qui lui reste, et qui consiste à déposer entre les mains de l’homme de sa classe, dont la probité lui inspire le plus de confiance, les bienfaits qu’après sa mort il destine à une famille infortunée que les lois lui ordonnaient de méconnaître. Mais ce n’est qu’en tremblant qu’un père abandonne à autrui le sort de ses enfans. Les nombreuses infidélités dont il a été témoin, les victimes qu’il a vu dépouiller impunément par d’iniques mandataires, viennent l’effrayer sur l’avenir des siens. Tout redouble ses alarmes à l’instant même d’aller paraître devant l’Éternel, où il rendra compte de ce qu’il a fait pour ceux qui lui doivent l’existence. En effet, que de blancs n’a-t-on pas vus, aux colonies, non-seulement détourner à leur profit le dépôt sacré que leur avait confié un père mourant, mais ravir encore la liberté des victimes dont ils s’étaient approprié la fortune !

Parmi les nombreuses infidélités dont se sont rendus coupables les mandataires des fidéi-commis, nous n’en citerons qu’une seule ; elle est devenue publique par un arrêt, ainsi nous ne craignons pas de la rapporter.

Un riche célibataire avait deux filles naturelles. Cédant à l’impulsion de son cœur, il voulut leur faire du bien, ainsi qu’à une négresse, mère de l’une d’elles.

Mais il ne put, d’après l’édit que nous avons cité, leur léguer directement ses bienfaits. Il choisit donc celui de ses amis dont l’intégrité paraissait le mieux reconnue. Il l’institua son légataire universel, sous la condition expresse qu’il donnerait la liberté aux trois personnes dont il vient d’être question, et qu’il leur remettrait fidèlement les bienfaits que leur destinait un père mourant. Le légataire universel jure d’accomplir toutes les obligations qu’on lui impose, et recueille la succession du défunt, même au préjudice d’un cousin. Il n’exécute aucune des conditions qui lui avaient été dictées à l’égard de ces trois femmes, meurt et transmet à son frère sa fortune, celle de son ami, et les trois malheureuses qui étaient encore dans la plus cruelle incertitude. L’avidité de ce dernier ne les y laissa pas long-temps. À peine entré en jouissance, il s’adresse à l’autorité, et sollicite l’autorisation de les vendre à son bénéfice aux enchères publiques. Il l’obtient, et à l’heure qu’il est, ces trois victimes gémissent dans la servitude et l’opprobre, et courbent un front humilié devant leur orgueilleux spoliateur[1].

À quelle législation peut-on comparer cette barbare dispension des droits ? À quelle époque faut-il remonter pour en trou-

  1. Voir une décision coloniale du 28 juin 1808.