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1963

VULGATE LATINE ET S. JEROME

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être n’a-t il pas su les interroger aussi bien qu’on fait de nos jours ? Voyons-le à l'œuvre.

L’auteur de notre Vulgate n’a jamais cessé de réclamer contre la t simplicité des Latins », qui font confiance à la version des Septante contre le témoignage du texte hébreu. Cependant, la diversité même des textes latins qu’ils lisent devrait les mettre en garde. Ce n’est pas qu’il se fle, sans réflexion, à ce qu’il lit dans le texte hébreu qu’il a sous les yeux ; un regard jeté sur Aquila, Symmaque, Théodotion lui permet de se rendre compte si ces traducteurs du h 8 siècle ont lu de même.

Tout comme un Tischendorf, S. Jérôme sait quelle œuvre de patience et de jugement est la vérification d’un texte. Epist., xxxi, n. i ; /'. Z..XXII, l ! fi ; cf., in lob, Prae/., in Paralip. Dans ce dernier passage, il nous apprend qu’avec la collaboration d’un Juif de Tibériade, très estimé des siens, il a collalionné les Paralipomènes « a vertice usque ad extremum unguem ». Qu’on dise ce qu’on voudra, en matière de généalogies bibliques, j’ai plus de confiance dans ce Juif deTibériade que dans les hébraïsants de Paris et de Berlin. Mais c’est surtout dans la préface du Commentaire de V Ecclésiaste, P. L., XXIII, 1009101a, qu’il se laisse voir au travail. Il a le texte hébreu sous les yeux, et il le traduit directement, h sans suivre les travaux de personne ». Ce n’est pas qu’il fasse G du sentiment des interprètes juifs, au coutraire il interroge les rabbis qui l’entourent sur les traditions de leurs écoles. Comme le traducteur ne se propose pas tant sa propre utilité que celle du peuple chrétien, il veille à ne pas heurter inutilement ses habitudes. Dans ce but, S. Jérôme ne s'écarte des Septante que lorsque le sens du texte original l’exige (de hebræo transférais, magis me l.XX interpretum consuetudini coaptavi, in Itis dumtaxat quæ non multum ab hebraicis discrepabant). Le voici aux prises avec le v. 8 du ps. iv. En jetant les yeux sur l’original même des Hexaples d’Origène, il constate : d’une part, que dans plusieurs psautiers, grecs et latins, on lit : et olei eorum (ou ski) ; et d’autre part, que ce membre de phrase ne répond à rien dans l’hébreu, et qu’il manque même dans l'édition authentique des Septante (née in hebræo, nec in cæteris editionibus (Aq., Sym., 'Jheod.), nec apud ipsos quoque Septuaginta interprètes repperi). Cf. Comment, in Psalm. (édit. D. Morin), dans Anecd. Maredsolana, III, i, p. 12.

b) Les principes qui l’ont guidé dans la traduction elle-même, S. Jérôme les a exposés à maintes reprises, mais notamment : Prolog, galeat., P. /,., XXVIII, 557, où il donne la traduction des Livres des Rois comme le meilleur exemple de sa manière ; Epist., cvi, ad Sunn. et Fretel. ; P. L., XXII, 83^807 ; Epist., lvii ou Libellas de optimo génère interpretandi, P. L., XXII, 568-679 ; mais il ne faut pas perdre de vue que dans ce traité S. Jérôme est conduit par des préoccupations apologétiques : il écrit pour justifier sa traduction latine de la lettre de Jean, évêque de Jérusalem, qui avait soulevé contre lui une véritable tempêle. Voir encore Epist., xxxn ad Marcel., P. L., XXII, /, 46. — Sur S. Jérôme traducteur, les modernes ont publié plusieurs monographies. Qu’il suffise de renvoyer à Hobbro, De S. llieronymi ratione interpretandi, Bonn, 1886 ; A. Conjjamin, Recherches de Science religieuse, 191 1, n" 5 ; 1912, n. 2.

On peut ramener l’essentiel à deux chefs : sa traduction est fidèle et littérale, mais sans servilité.

Aux attaques de ses adversaires, incompétents, il est vrai, puisqu’ils ne savaient pas l’hébreu, mais qui le traitaient néanmoins de « faussaire » (P.L., XXV, 4a4> 44 »), S. Jérôme répond qu’il a entendu

traduire fidèlement les textes, et qu’il pense y avoir réussi. « Mihi omnino conscins summe non mutasse quidquam de hebraica veritate. ri Prol. galeat., XXVIII,.JÔ7-5J8 ; Prolog, du Comment.de l’Ecclés.', XXIII, ion. Avant tout, il s’attache au sens, car tel est le devoir rigoureux de tout traducteur. Cependant, il se garde de ce qu’il appelle la xetxeÇiJJtfoy ; il ne poussera pas la liltéralité au delà de ce qu’ont fait les auteurs inspirés du N. T., quand ils citent l’Ancien. C’est là une considération qu’il développe avec complaisance dans son Libellus de optimo génère interpretandi. Une littéralité servile écarte du but de toute version, qui est de rendre un lexte compréhensible à des lecteurs ignorants de la langue dans laquelle il a été composé. A cet effet, il faut, tout en gardant le sens, substituer le style, familier au lecteur, à celui de l’original. « Non debemus sic verbum de verbo exprimere ut, dtim syllabas sequimur, perdamus intelligentiam. » P. L., XXII, 847 D’autant plus, que tout lecteur, voulant être respecté, entend qu’on lui présente une version écrite dans le génie même de sa langue. Ibid., 856.

Est-ce à dire que S. Jérôme efface de sa traduction les hébraïsmes, locutions ou tours de phrase qui sont propres à l’hébreu ? Non, il faut lui être reconnaissant d’avoir maintenu ces idiotismes, à travers lesquels nous entrevoyons la force et la beauté de l’original. Cependant, même ici, il ne s’est pas astreint à un procédé uniforme et absolu ; dans quelques passages, il a eu la hardiesse de traduire un hébraïsme par une locution mythologique, intelligible seulement aux Grecs et aux Romains. C’est ainsi qu’il écrit « Acervus Mercurii », Prov., xxvi, 8 ; Fauni, 1er., l, 3g ; Lamia, onocentauri, Isaïe, xxxiv, 14 ; Aruspices, lV Rois, xxi, 6. Pas n’est besoin de faire observer que ces allusions à la mythologie sontpurementde style, comme les dénominations que nous donnons encore aux jours de la semaine : jour de la Lune, jour de Mars, jour de Mercure, etc.

Le style de notre Vulgate est plus relevé que celui de la version latine primitive, elle se rapproche de la langue qu’on parlait dans les milieux cultivés. Cependant, à l’occasion, quand une nuance de sens le comporte, le traducteur ne craint pas d’employer certaines formes grammaticalement incorrectes, mais autorisées par l’usage qu’on en faisait dans la langue familière ; grossitudo, III Pois, vu, 26 ; sinceriter, Tohie, iii, 5 ; odientes, II Rois, xxii, 41 ; ' cubitos au lieu de cubita, Exod., xxv, 17. Il sait qu’on lui en fera une querelle, mais d’avance il répond : « Non curæ nobis est vitare sermonis vitia, sed Scripturæ sanctæ obscuritatem quibuscumque verbis disserere. » Comment, in Ezech., xi., 5 ; P. L., XXV, 378. Avouons que cubita eût été aussi clair que cubitos.

On n’a pas manqué de relever dans la version hiéronymienne une sorte d’inconséquence : pourquoi un même mot hébreu n’y est-il pas uniformément rendu par un même mot latin ? Le nom hébreu de l’arche d’alliance, ohél mo’ed, qui revient 13u fois dans le Pentatcuque est traduit de sept manières différentes : tabernaculum, tubernaculum foedetis, labevnaculum testimonii, etc. Cf. Cornki.y, Introd. generalis, I, n. 165 ; A. Condamin, Misctllanea Geronimiana, p. 91.

On a reproché à S. Jérôme d’avoir mis une confiance excessive dans le texte hébreu, de s'être laissé influencer indûment par les traditions talmudiques, d’avoir donné un caractère messianique à des textes d’un sens incertain, ou même nettement étranger à cet ordre d’idées ; enfin d’avoir travaillé trop vite. Reprenoni.