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1883

TYRANNICIDE

1884

Et tout cela se résume dans ce mot du plus ancien des l'ères apostoliques, de saint Clkmknt db Roms :

« Dieu le Père, le Seigneur Jésus Christ, le SaintEsprit, c’est la foi et l’espoir des élus * (Clem., lvuj, 

a).

Jules Lebrkton.


TYRANNICIDE. — Le tyrannicide, comme le mot l’indique, est le meurtre d’un tyran. Avant d’exposer la doctrine des théologiens catholiques, et spé cialement des théologiens de la Compagnie de Jésus, plus particulièrement mis en cause, sur cette délicate matière, il importe de définir nettement ce que ces auteurs entendent par un tyran.

Ils ont toujours distingué entre Le tyran d’usurpation (tyrannus lituli, usurpationis), et le tyran de gouvernement (tyrannus rcgirninis). Le premier est l’injuste agresseur d’un pouvoir légitime (envahisseur du territoire national, conspirateur cherchant à renverser un gouvernement bien établi)- Le second est un souverain légitime qui abuse de son autorité pour opprimer ses sujets, et surtout — cas si fréquent au seizième siècle, — pour les entraîner à sa suite dans l’apostasie. Les solutions données par les auteurs sont très différentes dans les deux cas (cf. Suarbz : Defensio fidei, 1. VI, c. iv, n° 7 ; De Virtutibus, Disp. xiu de Bello, 8.0pp., t. XII, p. 759 ; t. XXIV, p. G77, Paris, )858 sq.).

I. Cas du tyran d’usurpation. — Saint Thomas, expliquant comment le pouvoir peut ne pas venir de Dieu, se pose le cas où le mode d’acquisition de ce pouvoir a été défectueux « propter defectum in ipso modo acquirendi, quia scilicet per violentiani, vel per simoniam, vel aliquo illicito modo acquirit (prælatus). » Dans ces conditions, dit-il, « le droit de gouverner n’existe pas ; car celui qui s’empare du pouvoir par violence n’est pas vrai seigneur ni vrai maître ; c’est pourquoi les sujets peuvent, quand ils en ont les moyens, repousser sa domination. » Secundus defeclus impedit jus prælalionis ; qui enim per violentiain dominium surripit, non eflicitur vere prælatus vel dominus ; et ideo, cuiu fueultas adest, potest aliquis taie dominium repellere. Et commentant l'éloge fait par Cicéron des meurtriers de César : « Tullius parle du cas où un homme s’empare du pouvoir par violence, contre la volonté des sujets, ou en contraignant leur adhésion ; alors, quand on ne peut recourir à un supérieur qui ferait justice de l’injuste envahisseur, celui qui, pour délivrer sa patrie, tue le tyran, mérite louange et récompense ». Tullius loquilur in casu illo quando aliquis dominium sibi per violentiain surripit, nolentibus subditis, vel etiam ad consensum coactis ; et quando non est recursus ad superiorem, per qucm judicium de invasore possit lieri ; tuncenim qui ad liberationein patriæ tyrannum occidit, laudatur, et præmium accipit (/ « //'" Sentent ; Dist. 44 ; <- 2 ; art. a in corp. et ad 5 m).

Sltarez (Defensio fidei et De Bello, passages cités plus haut) défend la même doctrine. Il la prouve ainsi : « Contre le tyran d’usurpation, la république entière, et chacun de ses membres, a droit d’agir ; chacun peut donc se délivrer soi-même et délivrer l’Etat, d’une semblable tyrannie. C’est que le criminel en question est un injuste agresseur, qu’il fait une guerre inique contre la république et chacun de ses membres ; tous ont donc contre lui le droit de défense ». Tyrannus ille agressor est, et inique belluin inovet contra rempublicam et singula membra ; unde omnibus competit jus defensionis (Opp., t. XII, p. 75y).

La même doctrine est admise par les auteurs mo dernes qui ont traité la question (cf. Cathrbin, Moralpltilosopkie, t. 11, p. 661 sq. ; Ziuliara, Philos, mor., p. 21 3).

Il est à remarquer, du reste, que, d’après les mêmes auteurs, si un usurpateur est arrivé à la possession du pouvoir, et si le prince légitime n’a aucune chance de récupérer son autorité par une attaque dirigée contre l’intrus, le bien public peut commander, à lui-même et à ses partisans, de s’abstenir de cette attaque, dont l’unique résultat serait un accroissemsnt de troubles et de dommages pour la société (Cathrein, Le. p. CGi).

II. Cas du tyran de gouv3rnemeiit. — C’est celui dont il est généralement question quand on parle de tyrannicide. A ce sujet, les auteurs examinent deux cas. L’ensemble du peuple, ou ses représentants, peuvent-ils, dans certaines circonstances graves, et partant rares, décréter la déchéance, ou même la mort, du tyran, et donner commission à tel ou tel sujet, à telle ou telle classe de sujets, de faire exécuter la sentence ? — Un particulier peut-il, de son autorité privée, sans mandat donné par la communauté, ni sentence portée par elle, mettre à mort un souverain légitime dont la tyrannie lui parait évidente ?

A la première question, la plupart des théologiens catholiques, ceux de la Compagnie de Jésus ni plus ni moins que les autres, répondent affirmativement. A la seconde question, la réponse négative est presque unanime. Quelques théologiens du Moyen âge, et surtout du seizième siècle, « t parmi eux an jésuite, Maiiiana, font exception. Quelques textes caractéristiques sont à produire ici :

1) Droit de la communauté en face du tyran de gouvernement. — Saint Thomas s’exprime en ces termes : « Lorsque la tyrannie est devenue intolérable, on ne peut cependant permettre à des particuliers de s’arroger le droit d’attenter à la vie de leurs chefs, même oppresseurs ; le péril serait trop grand, et pour la multitude elle-même, et pour ses

chefs Contre la cruauté du tyran, ce n’est pas

l’initiative présomptueuse des particuliers, c’est l’autorité publique qui doit agir ». Si sit intolerabilis excessus tyrannidis… esset… hocmultitudini periculosum, et ejus rectoribus, si privata præsumptione aliqui attentarent præsidentium necem, etiam

tyrannorum videtur autem magis contra tyran norum sævitiam non privata præsumptione aliquorum, sed auctoritale publica, procedendum (fis rege et regno 16, Opusc. xvi, Opp., t. XXVII, p. 3^3, Paris, 1875).

En entrant dans le détail, le Docteur angélique distingue trois hypothèses. Ou bien le prince prévaricateur tient médialement ou immédiatement son pouvoir de son peuple ; dans ce cas, a le roi institué par le peuple peut justement être détruit par lui, ou son pouvoir réfréné, s’il abuse en tyran de son autorité royale ». Si ad jus multitudinis alicujus pertineat sibi providere de rege, non injuste ab eadem rex institutus potest destrui, vel refrenari ejus potestas, si potestate regia tyraunice abutatur (ibid., p. 343). Rappelons-nous que, pour saint Thomas comme pour ses contemporains, le souverain reçoit son pouvoir « de Dieu p ; ir le peuple » (cf. l’article Droit divin des rois, col. 1188). Ou bien, il existe un suzerain qui a autorité sur le monarque oppresseur, à lui alors d’intervenir. Ou bien il n’y a pas de secours humain qu’on puisse invoquer contre le tyran ; dans ce cas, « à Dieu seul, le roi des rois, il faut avoirrecours, pour qu’il change le cœur du mauvais prince, ou l’enlève de cette terre, s’il est incorrigible. » (Ibid., p. 344X