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1873

TRINITÉ (LA SAINTE)

1874

arboriculteur, qui voulant redresser un jeune arbre tordu, fait un effort exagéré dans l’autre sens et infléchit la branche en sens inverse. C’est à peu près ce que nous voyons arrivé à cet homme. Il s’opposait de toutes ses forces à l’impiété du Libyen, et il ne s’aperçut pas qu’il se laissait emporter par excès de zèle dans le mal contraire. Il lui devait suffire de montrer que le Père et le Fils ne sont pas personnellement identiques ; il eût ainsi vaincu le blasphème ; mais lui, pour triompher clairement et surabondamment, n’établit pas seulement la distinction des hypostases, mais la différence de l’essence, et la sujétion de la puissance et la diversité de la gloire. Ainsi il lui est arrivé de changer un mal pour un mal, et de ne pas atteindre à la rectitude de la doctrine. De là vient qu’il se contredit dans ses écrits, tantôt supprimant le consubstantiel à cause de celui qui en abuse pour confondre les h} r postascs, tantôt l’admettant dans l’apologie qu’il envoya à son homonyme. En outre au sujet du Saint-Esprit aussi il a des paroles tout à fait inconvenantes, l’expulsant de la divinité adorable, et le mettant à .un degré quelconque de la nature qui a été créée par Dieu et qui le sert. Voilà donc ce qu’était cet homme. »

Des fidèles d’Alexandrie déférèrent à Rome la lettre de leur évêque. L’évêque de Rome, saint Denys, jugea l’affaire assez grave pour motiver la réunion d’un concile ; les évêques convoqués furent ct’un sentiment unanime que le pape signifia aux intéressés. Pour ménager son collègue d’Alexandrie, il rédigea deux lettres : l’une lui était adressée, et l’invitait à s’expliquer ; elle ne nous a pas été conservée ; Denys d’Alexandrie y répondit par un livre intitulé Réfutation et Apologie, dont saint Athanase nous a conservé quelques fragments. Dans une deuxième lettre, Denys de Rome s’adressait à l’église d’Alexandrie ; il ne nommait pas l’évêque d’Alexandrie, mais il condamnait sa doctrine, et atteignait en même temps que lui tous ceux qui, à Alexandrie, tenaient les thèses incriminées. Dans 1 histoire du dogme anlénicéen, ce documenta une importance capitale ; il faut y insister quelque peu. D’après l’analyse donnée par saint Athanase, le fragment qui nous a été conservé était précédé d’une première partie, où Denys de Rome condamnait le snbellianisme. H poursuivait ainsi :

« Ensuite je dois m’adresser à ceux qui divisent, 

qui séparent, qui suppriment le dogme le plus vénérable de l’Église de Dieu, la monarchie, en trois puissances ou hypostases séparées et en trois divinités. Car j’ai appris que, parmi ceux qui chez vous sont catéchistes et maîtres de la doctrine divine, il en est qui introduisent cette opinion ; qui sont, pour ainsi dire, diamétralement opposés à la pensée deSabellius. Son blasphème à lui, c’est de dire que le Fils est le Père, et réciproquement ; mais eux prêchent en quelque façon trois dieux, divisant la sainte unité en trois hypostases étrangères entre elles, entièrement séparées. Car il est nécessaire que le Verbe livin soit uni au Dieu de l’univers ; et il faut que l’Esprit-Saint ait en Dieu son séjour et son habitation. Et il faut de toute façon que la sainte Trinité soit récapitulée et ramenée à un seul comme à son sommet, je veux dire le Dieu tout-puissant de l’univers : car couper et diviser la monarchie en trois principes, c’est l’enseignement de Marcion l’insensé, c’est une doctrine diabolique, et non de ceux qui sont vraiment disciples du Christ et qui se complaisent dans les enseignements du Sauveur. Car ceuxlà connaissent bien la Trinité prêchée par l’Écrilare divine, mais (ils savent que) ni l’Ancien Testain < nt ni le Nouveau ne prêchent trois dieux. Il

faut reprendre pareillement ceux qui enseignent que le Fils est une œuvre, que le Seigneur a été produit, comme s’il était l’une des choses produites, alors que les oracles divins lui attribuent la génération qui lui est propre et qui lui convient, et non pas une création ou production. C’est donc un blasphème, non pas quelconque, mais énorme, de dire que le Seigneur est en quelque façon l’œuvre des mains ; car s’il est devenu Fils, il y eut un temps où il n’était pas ; or il était toujours, puisqu’il est dans le Père, comme lui-même le dit, et puisque le Christ est Logos et Sagesse et Puissance — car les divines Écritures, vous le savez, disent que le Christ est cela — etcela.ee sont les puissances de Dieu ; si donc le Fils a été produit, il y eut un temps où cela n’était pas ; il y eut donc un moment où Dieu était sans ces (puissances) : c’est le comble de l’absurdité. Et pourquoi discuter plus longuement de tout cela avec vous, avec des hommes portés par l’Esprit de Dieu et qui voient clairement à quelles absurdités on est entraîné si l’on dit que le Fils est une œuvre ? Je crois que ceux-là n’y ont pas réfléchi, qui ont enseigné cette opinion ; et c’est pourquoi ils se sont entièrement trompés, en interprétant à contre-sens la parole divine et prophétique : Le Seigneur m’a créée, principe de ses voies. Car le mot « m’a créée » a, vous le savez, plus d’un sens ; et ici il faut entendre

« m’a créée » au sens de « m’a préposée » aux

ouvrages produits par lui, et produits par le moyen de son Fils lui-même. Et ici il ne faut pas entendre

« m’a créée » au sens de « m’a faite » ; car il y a une

différence entre faire et créer : « Est-ce que lui-même n’est pas ton Père, qui t’a possédé, qui t’a fait, qui t’a créé ? » dit au Deutéronome Moïse dans son grand cantique. On pourrait leur dire : O hommes téméraires, il est une créature, le premier-né de toute création, celui qui a été engendré du sein (de Dieu) avant l’aurore, celui qui a dit comme étant la Sagesse : Avant toutes les collines il m’engendre ? Et bien souvent, dans les divins oracles, on trouvera que le Fils est dit engendré, mais non produit. Et ees textes convainquent clairement de mensonge ceux qui, au sujet de la génération du Seigneur, osent dire que cette divine et ineffable génération est une production.

« Il ne faut donc pas s partager en trois divinités

l’admirable et divine unité, ni abaisser par (l’idée de) production la dignité et la grandeur excellente du Seigneur, mais croire en Dieu le Père tout-puissant et au Christ Jésus son Fils et au Saint-Esprit, et (croire que) le Verbe est uni au Dieu de l’univers. Car il dit : « Moi et mon Père nous sommes une seule chose » ; et : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». C’est ainsi qu’on assure la trinilé divine, en même temps que la sainte prédication de la monarchie ».

Ce document est d’une importance capitale dans l’histoire du dogme anténicéen : déclaration de la foi chrétienne, formulée par le pape, et souscrite unanimement par les évêques du concile de Rome. Ici, comme dans les autres documents romains, ce qu’il faut chercher avant tout, c’est l’expression authentique de la foi : point de spéculations théologiques, point de subtilités dialectiques, peu d’érudition scripturaire : mais la déclaration catégorique de la foi professée par l’Eglise. Haknack (Dogmengeschichte, I, 772), le constate non sans mauvaise humeur : « Si l’on compare cette lettre de Denys à celle de Léon I er à Flavien et à celle d’Agathon à l’empereur, on est étonné de reconnaître, entre ces trois documents romains, une si étroite parent* :. Leur forme est entièrement identique. Sans se soucier des preuves, les trois papes ont eu uniquement