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TRINITÉ (LA SAINTE)

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dans la formule baptismale, son arme la plus efficace : unité de Dieu et distinction réelle des trois personnes ; Père, Fils et Saint-Esprit, objets toutes les trois d’une même foi, d’un même culte, n’était-ce pas tout le dogme de la Trinité qu’on trouvait là ? La définition de la consubstantialité ne fera qu’assurer, préciser ces données premières, elle n’aura pas à les transformer.

Pendant les trois siècles qui précèdent Nicée, nul concile général n’est réuni, nulle formule de foi n’est promulguée, et cependant, dès l’ère apostolique, les hérésies ont pullulé ; l’Église leur oppose une règle de foi et cette règle, c’est avant tout ce symbole. Il est vrai, alors comme toujours, l’organe de sa tradition est d’abord le magistère vivant ; la formule n’est que l’expression qui le traduit, que l’instrument dont il se sert ; mais, alors, il n’eut nulle expression plus authentique, nul instrument plus ellicace que ce symbole. Chaque chrétien y reconnaît la foi de son baptême, son trésor personnel le plus précieux, et, en même temps, il y A’énère la foi des apôtres, le dépôt commun de toute l’Église ; qu’il passe d’Epiièse à Rome, de Smyrne à Lyon, de Césarée à Carthage, il se sent partout dans la même armée, où tous ont prêté le même serment et répètent le même mot de passe ; où, comme le dit saint Irénce, il contemple partout la même lumière de foi, de même qu’il est éclairé partout par le même soleil de Dieu. On peut affirmer sans crainte que si des docteurs nés et élevés dans le paganisme ont su, parmi tant d’écoles rivales, maintenir substantiellement l’intégrité de la révélation chrétienne par rapport à des objets aussi mystérieux que le dogme de la Trinité, ils l’ont dû surtout à l’influence protectrice du symbole baptismal.

L’historien du dogme doit tirer de ces faits les conséquences qu’ils comportent : quand il recherche la source des doctrines qu’il rencontre, il ne doit pas perdre de vue cette foi du baptême qui est familière et sacrée à tout chrétien. On est trop porté souvent à ne faire état que des sources littéraires, à oublier cette tradition orale, « transmise sans papier ni encre, mais gravée par le Saint-Esprit dans les cœurs » ; il n’est pourtant pas permis de la méconnaître, en cette question surtout, alors que des textes si nombreux en attestent l’influence, en déterminent la portée, la direction, les termes mêmes. Ainsi, quand nous rencontrons chez saint Justin, par exemple, la doctrine du Verbe de Dieu, son Fils, incarné pour nous, nous n’allons pas d’abord en chercher la source dans la philosophie platonicienne, nous souvenant que tout ceci se retrouve dans ce symbole baptismal que Justin avait juré au baptême, qu’il enseignait comme catéchiste dans sa petite école de Rome, qu’il devait comme martyr sceller de son sang.

A côté de ces sources traditionnelles, on a souvent à en reconnaître d’autres qui se sont mêlées à elles et en ont troublé la pureté ; mais il est relativement facile de les distinguer et, à travers toutes les confusions doctrinales, tous les remous, de marquer- le grand courant chrétien qui, venant du Christ et des apôtres et entraînant toute l’Eglise, devait porter la révélation chrétienne jusqu’à nous 1.

2° Littérature patristique anténicéenne. Dans les documents liturgiques que nous venons de

1. I.Vsquisse qu’on vient de lire ne fait que résumer l’étude plus complète, exposée au tome M de l J Histoire du Dogme de la Trinité, p. 13 -173 ; et cette interprétation de la liturgie baptismide est complétée là (p. 174-247) par l’élude dos autres monuments liturgiques : prières, hymnes, homélies, dozologies.

parcourir, nous avons entendu la voix de l’Église, c’est elle aussi que nous écoutons quand nous prêtons l’oreille aux anciens l’ères et écrivains ecclésiastiques. Toutefois nous ne sommes pas assurés que l’écho qui nous parvient ainsi soit toujours fidèle.

L’histoire de la théologie de la Trinité avant le concile de Nicée contient bien des pages obscures et a provoqué bien des controverses, tous les théologiens le savent. Ils n’en sont pas d’ailleurs très surpris : les obscurités, les inexactitudes, les erreurs même se comprennent aisément dans les premiers essais d’interprétation rationnelle d’un dogme aussi sublime ; à ces difficultés, inhérentes au mystère, s’ajoutent les défauts personnels de plusieurs de ces premiers théologiens. Quelques-uns d’entre eux, esprits inquiets et turbulents, sont tombés dans le schisme : saint Hippolyte a noblement racheté sa défection par son martyre ; mais, quand il écrivit ses Philosophamena, il était hors de l’Église et, sur ce point précis de la théologie trinitaire, il s’opposait violemment à l’enseignement des évêques de Rome, saint Zéphyrin et saint Calliste. Tatien et Novatien sont s ortis de l’Église bien peu de temps après avoir écrit leur exposé théologique ; Tertullien était montaniste quand il composa VAdversus Praxeam. Malgré ces défections, on peut reconnaître chez ces divers auteurs nombre de traits bien conservés de l’authentique foi chrétienne ; mais du moins on ne peut ériger ces hommes en docteurs de l’Église ni même en témoins irréfragables de sa foi. Sur le groupe des Alexandrins d’autres suspicions pèsei’t ; sur Clément, esprit brillant mais confus, en qui 1 Église s’est toujours refusée à reconnaître un de ses docteurs : Benoît XIV s’en est assez clairement expliqué dans sa lettre au roi de Portugal ; sur Origène, chrétien si grand par son dévouement à l’Eglise, par sa confession glorieuse, par son érudition

« immense, par la hardiesse de ses vues, mais

maître aventureux dont la doctrine et l’école ont été frappées par bien des an a thèmes : saint Deny s enfin, que saint Athanase révère justement comme une des gloires de l’église d’Alexandrie, mais dont le pape saint Denys dut blâmer et corriger la théologie trinitaire.

Ces faits incontestables rassurent le théologien quand, en lisant ces vieux textes, il se heurte à des confusions qu’il doit dissiper ou même à des erreurs qu’il doit reprendre ; s’il garde sa vénération à ceux de ces hommes qui furent des saints admirables, s’il lit leurs livres avec un pieux respect, il conserve toute la liberté de son jugement vis-à-vis d’une doctrine où l’Église ne reconnaît point le témoignage assuré de sa foi.

Cette foi nous apparaît chez les Pères apostoliques d’abord, puis chez les apologistes, chez saint Irénée, chez les théologiens du m c siècle. Chez tous ces écrivains ce que nous devons rechercher avant tout, c’est le témoignage qu’ils rendent à la foi de l’Eglise ; tous ne sont pas des témoins également autorisés : parmi les Pères apostoliques, les deux grands évêques, Clément et Ignace, dominent tous les autres : la plupart des écrits apostoliques sont anonymes (la Doctrine des apôtres), ou pseudonymes (Barnabe, la u " démentis), ou sont l’œuvre d’un inconnu (Hermas). Seules les lettres de saint Clément et de saint Ignace se présentent à nous couvertes de la signature d’un nom illustre et fermement datées. Autant que leur origine, leur contenu doctrinal les met hors de pair. C’est donc sur elles surtout que l’on doit insister 1.

On trouve là un point de départ très ferme, dans

l.Cf. Histoire du dogme de la Trinité, II (le Deuxième siècle), p. 24H-331 ; et L. Choppin, La Trinité chez les Pères apostoliques (Lille, 1925), p. 52-71 et 80-100.