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TRANSFORMISME

leur réalité là où, en fait, la perfection des êtres préexistants aurait été insuffisante pour expliquer la genèse d’un type nouveau d’essence supérieure.

La distinction entre ces deux manières de concevoir le transformisme théiste peut paraître un peu subtile. Elle nous semble pourtant indispensable, et elle ne devra pas être perdue de vue dans les exposés qui vont suivre.

Une fois que nous aurons en effet éliminé, pour des raisons d’ordre scientifique, le fixisme créationniste, comme nous ne pouvons nous arrêter au transformisme moniste (l’existence de Dieu étant ici supposée prouvée), il ne nous restera qu’à opter entre la forme généralisée ou la forme mitigée du transformisme théiste. Pour fixer notre choix, nous aurons, répétons-le, à tenir compte de tout le donné, scientifique, philosophique et théologique. Nous donnerons la préférence à la théorie qui nous paraîtra cadrer le mieux avec lui.

II. L’espèce systématique. — Définition, fixité relative.

On a souvent émis l’opinion que les transformistes niaient l’existence et la distinction des espèces. Rien de moins exact. Pour peu qu’ils se soient occupés de classification, tous les biologistes savent fort bien que les végétaux et les animaux actuels, aussi bien que ceux qui ont peuplé la terre aux diverses époques géologiques, sont naturellement groupés, si l’on considère ceux qui vivent à une même époque, en espèces, présentant certains caractères distinctifs, bien séparées des espèces voisines et possédant, pendant un temps quelquefois fort long, une remarquable fixité. C’est seulement en remontant vers le passé, que l’on peut espérer trouver un lien de continuité entre des espèces aujourd’hui séparées. Les cas dans lesquels on peut assigner avec certitude la forme ancestrale de deux ou de plusieurs espèces distinctes, sont relativement rares. Tel est le réel état des choses, que l’optimisme de certains évolutionnistes tend par trop à faire perdre de vue.

Suivant le schéma qu’ils ont coutume de proposer, sur une coupe horizontale à travers la ramure d’un arbre, les sections transversales des branches apparaîtraient séparées, seule une coupe axiale montrerait comment plusieurs branches sont portées par un tronc commun. La coupe horizontale correspond à l’ensemble des espèces vivant à une époque donnée ; la coupe axiale présente l’enchaînement des organismes dérivant les uns des autres. Mais, il ne faut jamais l’oublier, dans ces arbres généalogiques chers aux transformistes, seule la coupe transversale correspond à la réalité observable. Les coupes axiales sont le résultat de constructions idéales, constamment réformables et souvent complètement problématiques.

Comment définir dès lors l’espèce systématique ? On peut dire qu’elle est le plus petit groupe naturel réunissant des individus semblables possédant des caractères héréditaires distinctifs, séparé des groupes voisins par une discontinuité suffisamment tranchée. Dans les espèces où la reproduction est sexuée, la fécondité est indéfinie entre individus de même espèce. Les hybrides sont habituellement inféconds ou bien font retour à l’une des espèces souches. Cette dernière éventualité se réalise en particulier pour les petites espèces ou variétés jordaniennes qui obéissent dans leurs croisements aux lois de l’hérédité mendélienne.

Il est d’ailleurs souvent difficile en pratique de distinguer les bonnes espèces systématiques soit des genres, soit des variétés plus ou moins stables. Dans l’hypothèse transformiste, il n’y a rien là de surprenant. De bonnes espèces systématiques peuvent résulter de l’isolement géographique ou physiologique de certaines variétés. Il est ainsi parfois possible de saisir de nouvelles espèces en voie de formation.

Les adversaires du transformisme opposent quelquefois à l’espèce systématique l’espèce naturelle. Celle-ci comprendrait, d’après eux, tous les individus issus des mêmes ancêtres et pourrait avoir une extension beaucoup plus grande que l’espèce systématique. Avec une telle terminologie, il est bien évident que toute évolution dépassant les limites de l’espèce naturelle est impossible par définition. On peut sans doute faire toutes les conventions de langage que l’on voudra. Mais il convient de faire, au sujet de cette manière de parler, deux remarques importantes :

1° On s’abuserait étrangement si l’on s’imaginait éliminer par cette solution purement verbale les conclusions transformistes. Quelqu’un, par exemple, qui se prétendrait fixiste parce qu’il dénommerait espèce naturelle l’ordre des Coléoptères, au sein duquel se seraient produites les différenciations de très nombreuses familles d’espèces systématiques, admettrait, en fait, un transformisme déjà passablement étendu.

2° Il ne faut point contester, comme on a le tort de le faire parfois de nos jours, que les anciens partisans du créationnisme fixiste défendaient bel et bien la stabilité absolue des bonnes espèces systématiques. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter aux ouvrages, d’ailleurs fort remarquables, de de Quatrefages, d’Agassiz et de Godron. Tous ces auteurs étaient d’accord pour nier la parenté physique des individus appartenant à de bonnes espèces systématiques distinctes. Seules les variétés et les races pouvaient, d’après eux, s’être peu à peu constituées. Telle était, on le sait, la conception linnéenne de l’espèce.

'III. Preuves du transformisme. — Exposé et discussion.

A. Preuve générale par l’élimination de l’hypothèse créationniste.

Il est d’abord de toute évidence que, si l’on rejette, au nom de la philosophie moniste, l’hypothèse d’une intervention divine à l’origine des êtres vivants, le transformisme le plus universel s’impose avec une nécessité logique. Les organismes actuels n’ont pas existé toujours sur la terre ; d’autre part, il serait absurde de supposer qu’ils ont tous apparu par génération spontanée tels que nous les voyons. Ils ont donc été formés aux dépens d’êtres vivants antérieurs. En remontant ainsi de proche en proche, on est forcé d’admettre que des organismes initiaux très rudimentaires, issus par génération spontanée de la matière inorganique, ont donné naissance à tout le monde vivant.

Il faut savoir gré à M. Yves Delage d’avoir nettement avoué que ce raisonnement est à la base des convictions transformistes d’un grand nombre de biologistes contemporains :

Je suis absolument convaincu, a-t-il écrit, qu’on est ou n’est pas transformiste, non pour des raisons tirées de l’histoire naturelle, mais en raison de ses opinions philosophiques. S’il existait une hypothèse scientifique autre que la descendance pour expliquer l’origine des espèces, nombre de transformistes abandonneraient leur opinion comme insuffisamment démontrée. En dehors d’elle, il n’y a d’autre hypothèse que celle de la génération sponta-