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TRANSFORMISME

Le P. Wasmann, bien connu de tout le monde scientifique par ses beaux travaux myrmécologiques, était conduit par ses recherches dans ce domaine spécial à des conclusions nettement transformistes. M. Breuil, M. de Dorlodot, M. le Chanoine Grégoire, le P. Theilhard de Chardin, pour ne citer que quelques noms parmi les ecclésiastiques ayant une compétence scientifique, ont émis des idées analogues. Il faut donc beaucoup d’ignorance ou de mauvaise foi pour exploiter encore contre la religion une prétendue opposition entre nos dogmes et la doctrine de l’évolution, lorsque celle-ci, restant sur le terrain des faits positifs, se contente d’opposer au fixisme devenu insoutenable l’évidence de certaines transformations réalisées au cours des siècles dans le monde de la vie.

d) Etat actuel de l’opinion scientifique.

On serait aux antipodes de la vérité si l’on soutenait que le fait fondamental du transformisme n’est pas admis aujourd’hui par l’immense majorité des biologistes. Leurs réelles divergences de vues, sur les voies suivies par l’évolution et sur les causes qui l’expliquent, ne doivent point faire prendre le change et conclure, comme on l’a fait parfois trop hâtivement, de l’échec de certaines théories évolutionnistes, à une crise générale du transformisme. C’est ce que notait déjà, il y a une vingtaine d’années, le paléontologiste Steinmann :

Seuls, écrivait-il, quelques optimistes incorrigibles, médiocrement doués au point de vue critique, peuvent t’extasier sur les merveilleux résultat » auxquels nous sommes arrivés : c’est bien plutôt un sentiment d’incertitude et de doute qui domine aussi bien dans les milieux scientifiques que chez les profanes. Non pas, certes, que la vérité du principe de la descendance soit mise sérieusement en question, la conviction se fortifie au contraire toujours davantage que ce principe est non seulement indispensable, mais évident par lui-même, dès que l’on cherche à comprendre le monde de la vie. Mais jamais autant que pendant le dernier decennium, n’avait éclaté l’évidence du petit nombre de connaissances admises par tous sur les questions posées par les modalités et les causes de l’Evolution. (Die Geologischen Gruudlagen der Abstarmmungslehre, p. 1).

M. E. Le Roy lui faisait écho lorsqu’il disait, en 1926, à ses auditeurs du Collège de France :

Assurément il y a des hypothèses dans le transformisme : tels surtout les systèmes comme ceux de Lamarck, Darwin, etc., ou de leurs modernes disciples, qui veulent pousser jusqu’au détail une théorie explicative. Mais l’idée transformiste prise en elle-même n’a rien d’hypothétique au fond, du moins pour ceux qui en comprennent l’essence et qui sont au courant des données positives correspondantes. On doute et on discute sur le comment de révolution, sur le mécanisme des phénomènes évolutifs. On ne met plus guère en cause le principe même, l’existence du fait : car il y en a un. Bien probablement, l’avenir jugera insuffisantes et naïves nos conceptions actuelles, comme nous-mêmes jugeons celles de nos devanciers ; il leur fera subir des retouches, peut-être de profondes corrections. Quelque chose néanmoins paraît acquis dès maintenant pour toujours : l’idée que la vie comporte une histoire, qu’elle est en soi un mouvement, un devenir, et qu’un lien physique unit ses phases successives. Si plus tard on s’éloigne de nos vues contemporaines, il est d’ores et déjà certain que ce sera pour aller plus loin dans la voie même qu’elles ouvrent. Nul ne le conteste sérieusement parmi ceux qui ont compétence. (L’exigence idéaliste et le fait de l’évolution. Revue des cours et conférences, 28 février 1927, p. 517).

Cela est si vrai que l’on éprouverait un certain embarras à citer quelques noms de biologistes contemporains, ayant produit des travaux de valeur et non confinés dans quelque étroite spécialité, qui soient demeurés fidèles à l’ancien creationnisme.

Personne n’admet plus que l’ensemble des êtres vivants que nous avons sous les yeux ait apparu un beau jour, sans aucun lien génétique avec des organismes préexistants, grâce à une intervention de la Toute-puissance divine. C’est là une conception périmée, qui n’a aucune chance d’un retour de faveur dans le monde savant.

Tous les naturalistes compétents sont donc transformistes à quelque degré. Si l’on cherche à grouper leurs opinions, à la fois d’après l’extension donnée par eux au principe de l’évolution et le rôle attribué à un Dieu distinct de la Nature, on arrive à la classification suivante :

Transformisme moniste universel.

L’univers étant l’unique réalité, l’évolution la plus universelle s’impose avec évidence. Tous les êtres vivants actuels proviennent, par voie de descendance naturelle, d’organismes antérieurs ; et ainsi de proche en proche jusqu’à des germes initiaux très rudimentaires, nés eux-mêmes par génération spontanée aux dépens de la matière inorganique ou supposés existants dans l’univers sans aucun commencement. Cette évolution peut être conçue comme résultant du seul jeu des forces physico-chimiques, telle est la doctrine des tenants du monisme matérialiste ; ou bien comme impliquant l’intervention d’un dynamisme psychique, ainsi que l’admettent les partisans du monisme panpsychiste et de l’évolution créatrice autonome.

Transformisme théiste.

Un Dieu distinct du monde et premier principe de toutes choses est admis, et son action créatrice est considérée comme la raison ultime de la vie dans l’univers. D’après la manière dont est conçue cette intervention divine, il y a lieu de distinguer deux formes de transformisme théiste : l’un généralisé, l’autre plus ou moins mitigé ou restreint.

Les partisans du transformisme théiste généralisé considèrent comme biologiquement impensable toute coupure dans les séries génétiques reliant les vivants actuels aux organismes rudimentaires que Dieu aurait « fait naître » aux premiers débuts de la vie par évolution de la matière inorganisée. A se placer dans l’ordre des phénomènes, les apparences seraient donc exactement les mêmes que dans l’hypothèse du transformisme moniste ; la réalité différerait seulement dans le plan métaphysique.

Le transformisme théiste mitigé admet des interventions immédiates de Dieu, soit à l’origine des premiers êtres vivants (qui ne seraient pas à proprement parler « nés » de la matière inorganique, mais qui auraient été constitués par Dieu aux dépens de cette même matière, avec adjonction de principes formels distincts de la matière), soit dans le cours de la durée pour orienter l’évolution dans des voies nouvelles et pour réaliser des types dont la raison adéquate naturelle n’aurait pas pu se trouver dans des organismes préexistants. Au début de ces séries génétiques, dues à une intervention spéciale et immédiate du Créateur, transformant des êtres préexistants, il n’y aurait pas lieu de parler de « commencements absolus » (tout commencement absolu étant, si l’on prend ces termes dans leur rigueur, un non-sens ; tout être qui commence présuppose un autre être comme cause) ; mais il y aurait une certaine discontinuité, une manière de coupure, puisque les causes naturelles laissées à leur virtualités propres seraient insuffisantes pour rendre compte de l’apparition de certains types nouveaux. Il n’est pas nécessaire d’ailleurs, pour admettre cette théorie, que l’on soit en état de préciser le nombre et la nature de ces interventions spéciales du Créateur ; il suffit que l’on admette