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TRANSFORMISME

ment quelques difficultés avec les docteurs de Sorbonne, qui censurèrent, le 15 janvier 1751, dans les trois premiers volumes de son Histoire naturelle, diverses « propositions, principes et maximes contraires à l’esprit de la religion ». Pour avoir la paix, l’auteur fit amende honorable, déclarant, au début du tome IV, « croire très fermement tout ce qui est rapporté dans la Bible sur la création, soit pour l’ordre des temps, soit pour les circonstances de fait ». Quelques années plus tard, il admettra dans son Discours sur ta dégénération des animaux « que les deux cents espèces dont il a fait l’histoire peuvent se réduire à un assez petit nombre de familles ou de souches principales, desquelles il n’est pas impossible que toutes les autres soient issues ». (Hist. nat. t. XIV, p. 357). Cette insinuation timide ouvrait la voie dans laquelle devaient s’engager plus tard presque tous les naturalistes.

C) Les fondateurs du transformisme.

Le Monet de Lamarck (1744-1829) fut le premier à entrevoir dans toute son ampleur la portée de la théorie évolutionniste. Après s’être longtemps occupé de taxonomie végétale et animale, il acquit la conviction de la mutabilité des organismes. « On peut s’assurer, affirme-t-il dans son mémorable Cours d’ouverture de l’an VIII, que ce que l’on prend pour espèces, parmi les corps vivants, et que toutes les différences spécifiques qui distinguent ces productions naturelles, n’ont point de stabilité absolue, mais qu’elles jouissent seulement d’une stabilité relative, ce qu’il importe fortement de considérer, afin de régler les limites que nous devons établir dans la détermination de ce que nous devons appeler espèce. »

Les animaux forment d’après lui « une série rameuse, irrégulièrement graduée et qui n’a point de discontinuité dans ses parties, ou du moins qui n’en a pas toujours eu, s’il est vrai que, par suite des espèces perdues, il s’en trouve quelque part. Il en résulte que les espèces qui terminent chaque rameau de la série générale tiennent au moins d’un côté à d’autres espèces voisines qui se nuancent avec elles ». (Philosophie zoologique, ch. iii).

Pour ce qui touche à l’origine de l’homme, de Lamarck a entrevu aussi la possibilité de l’expliquer par évolution d’une souche animale. Il suggère qu’il y aurait peut-être lieu de le faire dériver d’un quadrumane qui aurait abandonné la vie arboricole et pris, grâce à la vie sociale, d’autres besoins et d’autres caractères. Mais il écarte ensuite cette hypothèse et termine ainsi le chapitre consacré à l’origine de l’espèce humaine :

« Telles seraient les réflexions que l’on pourrait

faire, si l’homme n’était distingué des animaux que par les caractères de son organisation et si son origine n’était pas différente de la leur. »

Pour M. Cuénot, « cette restriction naïve est évidemment une précaution prise contre les théologiens ». De telles allégations ne nous paraissent nullement s’imposer. Pourquoi, en effet, Lamarck, sincèrement spiritualiste et chrétien, n’aurait-il pas rejeté une hypothèse qui, étant admises les données de la philosophie et de la foi, perdait pour lui la vraisemblance qu’elle aurait eue, à considérer les choses du seul point de vue des sciences de la nature ?

Les successeurs immédiats de cet initiateur génial, au lieu de chercher à développer ses idées en les corrigeant, s’attachèrent surtout à les combattre. Les deux Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844 et 1805-1861), qui mirent en lumière certains arguments tirés de l’anatomie comparée, firent bien entendre leur voix en faveur d’un transformisme restreint, mais l’autorité assez tyrannique de Georges Cuvier (1769-1832) imposa pour de longues années à la science, à la science française surtout, le dogme de la fixité des espèces, tel que l’avait formulé au siècle précédent le célèbre classificateur Linné (1707-1778) : Tot sunt species quot initio Mundi creavit infinitum Ens.

Pour expliquer la disparition subite des flores et des faunes à la fin des grandes périodes géologiques, l’illustre paléontologiste admettait des séries de cataclysmes cosmiques à la suite desquels le Créateur aurait à plusieurs reprises créé de nouvelles formes vivantes. C’est la théorie à laquelle d’Orbigny (1802-1857) devait plus tard attacher son nom, en précisant le nombre de ces créations successives. D’après ce savant, qui le premier a établi les limites séparant les divers étages fossilifères, il n’y aurait pas eu moins de 24 catastrophes suivies d’autant de reprises de l’œuvre du Créateur.

Il fallait que les naturalistes qui en étaient réduits à admettre la probabilité d’une théorie aussi peu vraisemblable eussent une foi bien robuste dans l’immutabilité des types organiques !

Ce fut Charles Darwin (1809-1882), on le sait, qui réussit à faire triompher la théorie transformiste dans le monde savant et, chose vraiment extraordinaire, il y est arrivé en proposant une hypothèse qui, dans la suite, a été presque universellement reconnue comme insuffisante : celle de la sélection naturelle et sexuelle.

L’expédition du Beagle, à laquelle Darwin fut attaché en qualité de naturaliste, lui procura la première occasion de se poser à lui-même sérieusement le problème de l’origine des espèces. Deux ordres de faits, ceux-là même qui fournissent encore aujourd’hui les meilleures preuves de l’évolution, frappèrent le jeune savant.

Dans les grandes plaines de la Plata et de la Patagonie, il découvrit les fossiles de mammifères édentés géants, tels que le Dasypus gigas, par exemple. Or, ces régions sont les seules du monde où persistent encore quelques assez rares espèces d’édentés. N’est-il pas tout naturel d’admettre que ces animaux descendent d’espèces aujourd’hui éteintes, connues seulement par leurs restes fossiles ?

D’autre part, à mesure que l’on allait du nord vers le sud, Darwin remarquait que les espèces animales, celles des oiseaux en particulier, bien connues de lui, cédaient progressivement la place à de nouvelles espèces légèrement différentes. Comment ne pas en conclure que toutes ces formes, reliées entre elles par une multitude d’intermédiaires, avaient une origine commune ?

Cette interprétation, qui se faisait jour peu à peu dans l’esprit de Darwin, lui apparut comme la seule vraisemblable, lorsqu’en visitant les îles de l’archipel Galapagos, il put constater que chacune d’elles avait ses espèces propres, ses espèces « endémiques », comme nous disons aujourd’hui. Les différences n’étaient d’ailleurs pas si grandes qu’on ne pût regarder ces espèces voisines comme provenant toutes d’un même type originel, diversement différencié suivant les habitats. La lecture de l’ouvrage de Malthus, « Essay on the principle of population », mit le jeune naturaliste sur la voie de la théorie particulière à laquelle son nom devait rester attaché. Malthus, partant du fait que l’accroissement de la population humaine est strictement limité par l’accroissement des moyens de subsistance, notait que ces derniers augmentent suivant les termes d’une progression arithmétique, tandis