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TRADITION CHRETIENNE DANS L’HISTOIRE

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Le rôle de la raison théologique. — En marquant le rôle principal du Saint-Esprit dans l’économie de laTradition dogmatique, nous avons insisté beaucoup sur le caractère social de cette tradition et sur son côté mystique. Il reste à signaler les agents rationnels de sa propagation. Ce dernier aspect n’est pas le plus relevé ; mais il est le plus voyant et le plus connu. Pour l’observateur du dehors, il n’en existe pas d’autre.

Les théologiens scolastiques ne l’ont pas’négligé ; le Cardinal Framzblin lui consacre la quatrième et dernière partie de son traité célèbre De diiiria Traditione et Scriptura (paru à Rome en 18^0 ; nous citerons la troisième édition, 1882).

L’auteur reconnaît (Thés, xxui, p. 278) que certaines vérite’s contenues dans le dépôt de la révélation n’ont pas toujours été crues de foi explicite ; qu’il y eut un temps où ces vérités purent être niées sans hérésie formelle. Néanmoins il n’admet pas que l’obscurcissement ait jamais pu être total et que la négation ait pu réaliser l’accord dans l’Eglise contre la vérité. L’histoire de plusieurs dogmes présente trois phases, qui se déroulent dans un ordre régulier. A l’origine, une phase de possession paisible et plus ou moins inconsciente : 1e dogme est affirmé implicitement comme renfermé dans une proposition plus générale, — ainsi en est-il de plusieurs privilèges de Marie, — ou bien comme inspirant la pratique de l’Eglise —, ainsi la validitédubaptême conféré par les hérétiques. Puis, une phase de controverse, ouverte par des négations, et plus ou moins prolongée par le croisement des attaques et des réponses, non sans quelques recrudescences d’obscurité. Enfin une phase de possession explicite et détinitive, après la sentence de l’Eglise. Aux gardiens de la foi incombe le devoir de veiller, de faire la lumière par le recours à l’antiquité, d’employer les moyens humains. Il n’est donc pas permis de dire (avec Gobnthbb) que le rôle de l’Eglise enseignante se borne à choisir, sous l’assistance du Saint-Esprit, entre plusieurs manières d’entendre le dogme, celle qui répond le mieux à l’état présent de la science (Thés. xxv).

Les positions du Cardinal Franzelin ne sauraient être ébranlées. Mais il y avait lieu de pousser plus avant l’enquête métaphysique sur le procédé rationnel qui amène les vérités de foi, de la conscience obscure de l’Eglise, à sa conscience claire.

On doit au R. P. F. Marin-Sola, O. P., professeur à l’Université de Fribourg (Suisse), un livre vigoureux et profond où il revendique l’homogénéité de l’évolution dogmatique et la part du raisonnement théologicpie dans cette évolution (La Evoluciôn homogenea del Dogma catolico, Madrid 1923. Traduction française, L’évolution homogène du Dogme catholique, Paris, 1924, 2 vol.).

Evolution homogène, car elle se poursuit dans l’identité d’une même donnée primitive, selon le mot de Vincent de Lérins. in eodem se. dogmate, eodem sensu eadcmque sententia. La révélation du Nouveau Testament étant achevée dès l’âge apostolique, il n’y a place, dans l’identité de cette donnée primitive, qno pour une évolution conceptuelle, faisant succéder aux formules rudiincntaires de l’Ecriture des formules plus pénétrantes, plus exactement adaptées à la complexité du réel, que ces formules rudimentaires contenaient dès l’origine.

Evolution rationnelle, car dans une large mesure il appartient au raisonnement théologique d’opérer la transition des concepts primitifs aux concept » évolués. S’agit-il de raisonnement tbéologique au sens propre, tout son rôle se borne à manifester la réalité virtuellement incluse dans les concepts pri mitifs et à provoquer l’avènement de concepts plus distincts. Par exemple, le Concile de Nicée définit la consulistantialité numérique du Fils de Dieu avec son Père, coupant court aux arguties d’Arius et donnant une expression technique à la vérité clairement allumée dans l’Ecriture. Le Concile d’Ephèse délinit la Maternité divine de Marie, tranchant le mot pour mettre le peuple chrétien en face d’une vérité nette et dissiper les équivoques accumulées par Nestorius. Le troisième Concile de Constantinople définit la distinction de deux volontés en Jésus-Christ, exprimant tout le sens des textes évangéliques où l’on trouve les deux volontés à l’œuvre. Ainsi procède couramment l’Eglise dans ses définitions de foi. On pourrait multiplier les exemples et prendre sur le fait, ailleurs encore, ce procédé « métaphysieo-inclusif », selon une exception familière au Père Marin Sola, cet effort d’analyse conceptuelle par lequel l’Eglise discerne les dogmes virtuellement implicites dans sa conscience profonde.

Si l’on a parfois révoqué en doute la vertu du raisonnement théologique pourl’explicitation du donné révélé, c’a été par suite de quelque confusion sur son mécanisme interne. On a redouté l’intrusion de la raison discursive dans le domaine propre de la foi. -On a bien fait de la redouter ; mais une telle intrusion n’est pas le fait du raisonnement théologique. En tant que contribution à la métaphysique du révélé, il opère sûrement dans la ligne qui lui est propre ; le tout est de ne pas confondre les données immédiates de la révélation avec des essais d’élaboration systématique. A cette seule condition, le travail théologique sera efficace dans le sens de la tradition.

Assurément, il n’appartient qu’au magistère officiel de l’Eglise de le faire aboutir et d’y mettre le sceau de l’autorité divine. Il n’appartient qu’au magistère officiel de l’Eglise de promulguer un dogme et de requérir un assentiment de foi divine. L’effort individuel du théologien n’a qu’un rôle d’instrument. Mais à titre d’instrument, il peut promouvoir efficacement la maturation du dogme.

Est-ce à dire que toute conclusion théologique proprement dite est, comme telle, candidate à une définition dogmatique ? Certainement non. Car pour poser sa candidature à une telle définition, elle doit satisfaire à d’autres exigences, et d’abord se présenter comme assimilable à la raison commune des croyants, digne d’être accueillie comme telle par le magistère de l’Eglise. Beaucoup de conclusions théologiques, fermement déduites par saint Thomas, sont loin de remplir de telles conditions.

Seule une conclusion théologique homologuée comme telle par le magistère de l’Eglise, est actuellement désignée aux tidèles comme un fragment de tradition dogmatique.

Ramenons encore les deux images par lesquelles on peut essayer de rendre les deux aspects complémentaires de la Tradition dogmatique : aspect statique et aspect dynamique, conservation et développement.

La première image est celle d’un fleuve qui roule ses eaux vers la mer. Ainsi la parole du Christ roule-t-elle de génération en génération, identique à elle-même. De nos jours, un hardi syncrétisme, appliqué à l’histoire des religions, restaure à sa manière le passé chrétien, en proclamant l’hétérogénéité des divers courants intellectuels qui auraient, à diverses époques, conflué dans notre système dogmatique. Cette représentation est un trompe-l’œil. Mais il suffit de la modifier pour l’adapter aux faits. Il n’y a qu’une source de fleuve chrétien : c’est la révélation divine, contenue pour une part dans les