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TRADITION CHRETIENNE DANS L’HISTOIRE

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Voici, d’autre part, un essai de transcription des dogmes chrétiens dans le langage du pragmatisme moderne : il se présente comme motivé par les exigences nouvelles de la pensée scientilique. (Edouard Lb Roy, Dogme et Critique, Paris, 1907). Besoin de rigueur toujours plus grande dans la démonstration, besoin d’autonomie personnelle à l'égard de toute affirmation venue du dehors, besoin de clarté absolue dans les énoncés, besoin de cohérence dans tout le système des connaissances humaines : tous ces instincts profonds de notre âge condamnent, dit-on, définitivement la conception intellectualiste du dogme. On ne le fera plus accepter des esprits contemporains qu’au prix d’une transposition de la donnée traditionnelle, du domaine de la croyance dans le domaine de la vie. En d’autres termes, on nous invite à dépouiller cette idée factice, que les dogmes ont pour nos esprits, indépendamment de toute réduction en acte, une valeur positive de vérité. Qu’ils recèlent une vérité objective, on ne le conteste pas ; mais, de cette vérité, on ira demander la mesure à la vie et à l’action.

On nous invite à distinguer deux aspects du dogme : un aspect négatif et prohibitif, par où il s’oppose aux interprélations erronées — c’est celui que met lent en lumière les anathèmes des conciles —, et un aspect positif, celui-là pratique avant tout, intimant non pas tant une vérité à croire qu’une attitude d'âme à prendre. Pour apprécier l’importance de la réforme proposée, il n’est que de comparer aux énoncés ordinaires du catéchisme ceux du nouveau catéchisme pragmatiste. Voici, dans cette nouvelle langue, les formules positives de quelques-uns de nos dogmes :

Dogme de la personnalité divine (Dogme et Critique, p. 151) : « Dieu est tel en soi, qu’il doit être par nous traité au moins comme une personne. »

Dogme de la résurrection du Christ (p. a55) :

« L'état présent de Jésus est tel que, pour correspondre à sa réalité ineffable, pour nous orienter

vers elle, pour nous mettre en mesure de la saisir, autant que faire se peut, pour entrer avec elle en rapport conforme à sa vraie nature, l’attitude et la conduite requises de notre part sont celles qui conviendraient vis-à-vis d’un contemporain. »

Dogme de la présence eucharistique (p. 258) : « La réalité est telle en soi que vous devez avoir, en face de l’hostie consacrée, la même attitude que vous auriez devant Jésus devenu visible. »

Si droites que puissentêtre, etquesoient sans doute, les intentions de l’auteur, la question, chacun peut s’en rendre compte, est grave, si on la juge du point de vue de la tradition catholique. C’est un Concordat que l’on propose à l’Eglise, au nom d’une pensée scientiGque qui croit disposer souverainement de l’avenir. Il est à pré voir que l’Eglise ne signera pointée Concordat. Car la révélation divine mesure les assentiments qu’elle exige ; elle ne se laisse mesurer par aucune philosophie. Et la vérité qu’elle apporte aux hommes n’est pas seulement affaire d’attitude et de conduite, mais de réalité objective, au sens impliqué par la portée directe du langage humain.

X. L’encyclique « Mortalium animos ». — Les mouvements relatifs à l’union des Eglises ont donné lieu, de nos jours, à une intervention pontificale, revendiquant les droits imprescriptibles de la tradition catholique.

Le Congrès de Lausanne, succédant à celui de Stockholm, avait donné, dans une atmosphère plus sereine, l’impression d’un certain rapprochement des âmes, et, sinon abaissé les barrières, du moins ouvert des perspectives d’entente cordiale entre les

Gis de l’Evangile. Sur le terrain anglican, l'élaboration du nouveau Prayer Book, poursuivie pendant des années, avait fait naître l’espoir d’un regroupement fécond, entre l’Eglise établie et les sectes dissidentes. Même du côté de l’Eglise Romaine, on avait pu noter quelques signes d’entente, et croire que le fossé se comblait. Les Conversations de Malines, encore que dépourvues de caractère officiel, avaient donné à de généreux « anglo-catholiques » l’illusion d’un échange de vues entre plénipotentiaires des Eglises d’Occident. Et voici que, coup sur coup, des catastrophes imprévues mettent ces espoirs à néant. L’esquif de rêve, qui semblait toucher le port, est brusquement rejeté en pleine mer.

Le 15 décembre 1927, à Westminster, par 2^7 voix contre 205, la Chambre des Communes repousse le nouveau Prayer Book ; et resserre, entre l’anglicanisme du xxe siècle et la Réforme du xvie, des liens à demi rompus. Le 6 janvier 1928, par l’Encyclique Mortalium animos, le pape Pie XI déchire toutes les illusions et remet le monde chre’tien en face de cette vérité douloureuse : entre l’Eglise catholique et l’anglicanisme il n’y a qu’une voie d’accommodement : que l’anglicanisme se renonce lui-même pour venir simplement à l’Eglise catholique, dont il se sépara il y a quatre siècles, et qui l’attend.

Les hommes qui connurent, il y a plus de trente ans, l'émoi causé par la lettre de Léon XIII sur les ordinations anglicanes, ne pouvaient qu'être frappés par l’exact parallélisme des situations. Alors comme aujourd’hui, on avait escompté, de la part de l’Eglise catholique, certaines mesures de condescendance, où, plus que personne, elle devait trouver son avantage. Et l’Eglise catholique ne s'était pas refus-ée à remettre à l'étude un point d’histoire déjà souvent débattu. Après loyal examen des documents, elle concluait, non par un non lique t, mais par un non possumus formel, attristé. Il lui était apparu que le remaniement infligé aux rites catholiques de l’ordination sacerdotale par la Réforme anglicane avait, dans la pensée de ses auteurs et dans les textes, le caractère évident d’une répudiation voulue de ce qui constitue précisément l’essence du Sacerdoce chrétien. De hautes consciences anglicanes bondirent sous ce verdict et leur déception s’exprima en termes tels que ceux-ci : « Le Pape Léon XIII inclinait vers nous, mais d’autres conseils ont prévalu ». C'était une erreur. Le Pape Léon XIII avait pu, dans le principe, connaître imparfaitement la question d’histoire qu’il remettait sincèrement à l'étude ; il avait pu éprouver, au fond du cœur, un vif désir de voir cette enquête aboutir à une conclusion qui eût aplani la voie de l’unité. Mais devant la vérité objective, telle qu’elle ressortait de l’enquête, il n’avait pu connaître un instant d’ht’sitation. Il s'était soumis aux faits ; et, aux faits reconnus.il appliquait simplement les principes qui n’avaient pas été mis en question.

L’histoire de la lettre Apostoliccc curæ (13 septembre 1896) recommence avec l’Encyclique Mortalium animos (6 janvier 1928). Sauf pourtant cette différence que, dans le cas présent, il n’y avait aucun point d’histoire à élucider ; toutes les données de fait étaient, par avance, entièrement nettes ; il y avait seulement à prémunir les fidèles contre des entraînements possibles : entraînements du zèle et de la charité. Tel est justement le sens de l’acte pontifical. S’il ne fait à la question anglicane aucune allusion distincte, on ne risque pas de se tromper en disant qu’il y a perpétuellement égard. L'état d’esprit qu’il vise, et dont il dénonce le péril, ne s’est développé nulle part plus largement qu’au contact du meilleur anglicanisme.