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1709

TRADITION CHRETIENNE DANS L’HISTOIRE

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A l’origine : les Eglises présentent les dogmes comme la pure exposition de la révélation chrétienne ; en réalité ils sont une construction de l’esprit grec sur le terrain de l’Evangile.

Au développement du dogme : c’est une autre illusion des Eglises de croire qu’il se réduise à une explication progressive de notions toujours identiques à elles-mêmes. En réalité, la théologie a fait le dogme ; l’Eglise s’est tenue constamment à la remorque des théologiens, tantôt entravant leur effort et tantôt le contisquant. Les plus heureux d’entre eux surent faire passer leurs inventions pour des traductions fidèles. Beaucoup d’autres succombèrent sous les anatlièaies qu’eux-mêmes avaient inspirés. Le dogme a perpétuellement dévoré ses pères.

Produit sur le terrain de l’Evangile par l’esprit <le l’antiquité expirante, le christianisme dogmatique n’a jamais dépouillé son caractère primitif. Mais il a subi, au cours des âges, deux refontes profondes : la première due à Augustin ; la seconde, et la plus pénétrante, à Luther. Ces deux refontes ont fait prévaloir un esprit nouveau, qui serre de plus près le noyau évangélique primitif, spécialement imprégné de paulinisme. Les modernes confessions de foi des Eglises protestantes ne peuvent plus guère prétendre à représenter simplement l’ancien dogme.

S’il faut en croire M. von Harnack, le christianisme, depuis son origine, se serait développé par agglomération de matière, à peu près comme le cristal dans son bain ou comme le corail au fond des mers. Lire Das Wesen des Christentums, Berlin, 1900, trad. fr., L’Essence du christianisme, Paris, 1907 ; du même auteur, Lehrbuch der Dogmengcschichte, 4e éd. Tiibingen, 1909.

Dans les discussions qui suivirent l’apparition du livre sur l’Essence du christianisme, M. l’abbé Loisv se signala par son ardeur à y dénoncer une mutilation arbitraire de la donnée chrétienne (L’Evangile et l’Eglise. Paris, 1902). Il montra fort pertinemment le caractère organique du développement chrétien, décrit par M. von Harnack comme un pur travail de cristallisation. Le royaume des cieux, le Fils de Dieu, l’Eglise, dogme chrétien, culte chrétien : l’auteur de L’Evangile et l’Eglise traite en cinq chapitres ces cinq points essentiels, et prouve qu’on n’en saurait rendre raison par le recours à la simple idée du Dieu-Père révélé en Jésus-Christ.

Malheureusement, l’auteur ne s’en est point tenu là ; et, tandis qu’il fait ressortir le vice d’une mutilation systématique, il n'évite pas l'écueil d’une idéalisation, systématique elle aussi. En effet, il ne suffit pas d'établir que le royaume des cieux, annoncé par Jésus-Christ, est constitué par autre chose qu’un sentiment filial envers le l'ère céleste, si, en subordonnanttout au point de vueeschatologique d’un royaume prochain, on fausse la perspective des faits évangéliques, et on relègue dans l’ombre le sens obvie, pratique et plénier de la loi chrétienne. Il ne suffit pas de prétendre que la titre de Fils de Dieu, revendiqué par Jésus, équivalait à celui de Messie, dans la pensée des Juifs, des disciples et de Jésus même, si par ailleurs on ne définit le rôle du Messie qu’en fonction de cette conception eschatologique du royaume, arbitrairement choisie. Il ne suffit pas de venger éloquemment la vraie notion de l’Eglise du Christ, essentiellement visible et hiérarchique, si, dans les relations entre l’Evangile et l’Eglise, on écarte l’influence d’une pensée personnelle du Christ, créatrice et organisatrice de son Eglise. Il ne suffit pas de montrer que le dogme chrétien est autre chose qu’une construction de l’esprit grec sur le terrain de l’Evangile, si l’on ne reprend la métaphore du germe que pour la vider de la signification qui lui est essen tielle et si l’on méconnail dans l'évolution du dogme un fonds de réalité intangible. Il ne suffit pas de montrer dans le culte chrétien l'épanouissement spontané d’un embryon religieux, déposé par le Christ au sein de l’humanité, si l’on méconnaît l’impulsion initiale du Christ, et sa providence persévérante sur le développement de ce culte. Il ne suffit pas, enlin, de nous ramener, pour apprendre toutes ces choses, à l'école des Livres saints, si l’on s’imagine pouvoir tailler et couper dans ces livres, sans égard pour l’autorité de l’Eglise, les faire au besoin témoigner contre elle, et, si l’on revendique pour l’exégèse indépendante une puissance illimitée d’investigation.

C’est pourquoi l’entreprise de M. Loisy porte en elle-même sa propre condamnation, et ne ruine une conception arbitraire qu’au profit d’une conception aussi arbitraire et aussi caduque. M. von Harnack a touché juste en résumant ainsi la logique de son contradicteur : « Critiquez tant que vous voudrez, mais ce que la critique aura mis à néant, laissez-le subsister comme enseignement de l’Eglise ; car c’est elle qui porte le développement. » (Dogmengeschichte, p. 206, Tiibingen, 1905)

Un semblable dégoût de la tradition ecclésiastique détachait aussi du christianisme un prêtre anglais. George Tyrrell était venu de l’anglicanisme à l’Eglise romaine ; il avait retenu de cette démarche un sentiment profond de l’identité entre le Christ de l’histoire et le Christ du catholicisme intégral. Ce sentiment ne l’abandonna jamais : aux heures de plus grand trouble, il continua de repousser, comme une tentation, les avances du protestantisme libéral. Mais il n’abdiquait point la prétention de concilier une foi réelle avec des entreprises critiques poursuivies en toute indépendance de la foi. Attitude contradictoire, qu’explique seul l’individualisme incoercible d’un esprit naïvement infatué de son infaillibilité personnelle. Tandis que le penseur s’acharnait à refondre la donnée chrétienne à l’usage des temps nouveaux, sa foi en Dieu évoluait vers un vague panthéisme ; sa foi au Christ dérivait vers un respect tout platonique pour la plus parfaite incarnation de l’Esprit divin ; sa foi en l’Eglise hiérarchique s'évanouissait complètement. Pour le magistère, il n'éprouvait plus que défiance, aigreur, mépris. Ses publications clandestines démentaient ses écrits avoués. S’il persistait à identifier en paroles le christianisme avec la tradition, c'était au prix de déformations si flagrantes, que le contresens saute aux yeux. (A much abused letter, Londres, 1906. Christianity ai the cross-rouds. Londres, 1910).

Même esprit chez ces catholiques progressistes d’Italie, dont A. Fogazzaro avait incarné les tendances dans son roman // Santo : Il existe, pensentils, entre la vérité qui est l’objet de leur foi et la vérité qui est l’objet de la science, une aflinité secrète, par effet de laquelle, dès qu’une vérité peu conciliable apparemment avec la vérité religieuse est acquise à la science, la vérité religieuse en absorbe le suc et grandit. Elle grandit parce que la contradiction qui éclate entre une vérité démontrée et une croyance traditionnelle met en branle celle-ci, en brise, dessèche et fait tomber ce que l’enveloppe humaine de la vérité divine avait de plus répondant à l'état des connaissances humaines où celle enveloppe s'était formée et qui vient d'être dépassé. (Conférence à Paris, citée par L’Eclair du 19 janvier 1907) — La foi catholique repousse l’hypothèse d’un conflit réel entre une tradition dogmatique anthentiquée par l’Eglise et la démonstration effective d’une vérité contraire.