Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/890

Cette page n’a pas encore été corrigée

1767

TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

1768

IX. Kantisme et Modernisme. — En regard du réalisme autoritaire, dont nous avons signalé la trace au cours du dernier siècle, il faudrait présenter les idées libérales et individualistes, qui en sont l’antithèse. Favorisées par le désir d'émancipation qui vit au fond de notre nature, ces idées ont forcément beaucoup plus de prise que les précédentes sur le commun des hommes : leur histoire est celle du mouvement qui entraîne les âmes chrétiennes hors des voies traditionnelles. Poursuivre à travers tout le dix-neuvième siècle une histoire aussi touffue et aussi confuse, serait une tâche intime. Quand nous aurions rappelé, par exemple, les essais de pénétration de l’idéalisme kantien dans la théologie catholique, auxquels Hermès et Guenther ont attaché leur nom, ou bien l’entreprise hypercritique de l'école historique de Tubingue, dont il reste surtout le souvenir d’une expérience manquée, ou l'évolution accomplie par un Edmond Scherer, du protestantisme orthodoxe vers le rationalisme intégral, nous aurions sans doute indiqué des faits notables et symptomatiques, mais à peine indiqué des directions. Les étapes principales ont déjà été marquées ci-dessus aux articles Griticisme kantien, Immanrncb, Modernisme. Nous pouvons nous borner à un simple rappel.

On doit s’attendre à rencontrer dans le protestantisme toutes les formes de l’individualisme religieux, avec toutes les nuances du libéralisme doctrinal. De fait, on n’en saurait imaginer aucune qui n’y soit représentée, depuis le biblisme conservateur, jusqu'à un panthéisme à peine teinté de morale évangélique. Néanmoins, par un phénomène caractéristique de notre âge, il s’en faut que le protestantisme ait le monopole de ces tendances : elles se combinent parfois étrangement avec une adhésion expresse au principe catholique. Ceci nous dispense de considérer à part catholiques et protestants.

En France, l’une des tentatives les plus radicales eut pour principal chef Auguste Sabatibr. Dans son ouvrage posthume sur les Religions d’autorité et la Religion de l’esprit (Paris, 190/4), le doyen de la Faculté de théologie protestante commence par jeter à bas toute sorte d’autorité religieuse. Le catholicisme romain était fondé sur un principe autoritaire : l’infaillibilité de l’Eglise. Le protestantisme orthodoxe, qui prétendit le remplacer, s’appuyait sur un autre principe autoritaire : l’inerrance de la Bible. Un principe vaut l’autre : l’histoire condamne l’autorité surnaturelle de la Bible, comme l’autorité surnaturelle del’Eglise. Seulement(p. 400),

« entre le catholicisme et le protestantisme, il y a

cette différence, que l’une a réussi dans son entreprise et que l’autre a échoué. Le système d’autorité catholique a fini par s'établir et s’est achevé par le décret du Vatican. Le système d’autorité protestant s’est écroulé pour jamais. Mais il ne faut pas juger de ces événements sur l’apparence. Dès qu’on va au fond des choses, le rapport se renverse : le catholicisme meurt de sa victoire, tandis que le protestantisme trouve dans sa défaite apparente une cause de rajeunissement et de salut… » Une seule chose plane sur tant de ruines : c’est la religion de l’Esprit, véritable révélation du Christ, dont l’Evangile est le code parfait. Code non pas extérieur et impératif, mais intérieur et moral, qui se résout dans la piété du cœur, dans les relations filiales avec Dieu, inaugurées par Jésus-Clirist.

Il faut quelque bonne volonté pour reconnaître dans ce christianisme, allégé de tout dogme, la substance authentique de l’Evangile. Du discours sur la montagne au discours après la Cène, il semble bien que Jésus-Christ ait enseigné, qu’il ait

commandé aussi, quelque chose de plus. La différence d’aspect entre ce christianisme et celui de la tradition est telle qu’un critique rationaliste inclinait à voir simplement dans la philosophie religieuse de Sabatier (Maurice Vernbs, dans Revue critique, 21 avril 1902, p. 306) : « une tentative désespérée, faite par un esprit qui n’a pas su se résigner à sacriiier les souvenirs de sa pieuse éducation, pour échapper aux exigences d’une raison vraiment libérée ». A considérer les choses objectivement, l’appréciation ne paraîtra pas injuste. Or, la construction de Sabatier, éminemment représentative d’un étatd'àme devenu commun dans les rangs du protestantisme libéral, doit principalement au talent personnel de l’auteur sa grande notoriété ; on pourrait citer, soit à l'étranger soit en France, beaucoup de semblables compromis.

M. Ad. von M. Harnagk, dont les travaux ont tant contribué à ramener l’histoire des origines chrétiennes dans les voies de la sagesse, manifeste par ailleurs le plus complet détachement à l'égard des formules dogmatiques,

La tendance à enfermer la foi dans des formules dogmatiques est essentielle au christianisme. Mais entre la relativité des connaissances humaines et la prétention de l’Eglise à la vérité absolue, des conflits naissent fatalement. A ces conflits, la solution historiquement la plus notable est celle que le catholicisme inaugura et que la Réforme devait reprendre en sous-œuvre. On canonisa un certain nombre d'écrits, et, avec eux, certaines traditions orales ; des formules dogmatiques en furent extraites, et proposées à l’adhésion de tous commel’expression des vérités du salut. Ainsi l’Eglise catholique prit-elle position devant le monde. Mais la partie pensante du troupeau chrétien ne devait pas se résigner à voir dans la matière dogmatique ainsi consacrée autre chose qu’un thème à de nouvelles investigations.

Vers le commencement du quatrième siècle, la mise en formules de la donnée chrétienne était achevée ; l’avènement de la christologie du Logos marque pour l’Eglise le début d’une nouvelle ère : celle de l'évolution du dogme. Théoriquement illimitée, cette ère est pratiquement close pour les diverses communions chrétiennes. L’Eglise grecque a déclaré son système dogmatique achevé, à l’issue de la querelle iconoclaste. L’Eglise romaine, bien que laissant ouverte en principe la possibilité de la promulgation de nouveaux dogmes, a, en fait, lors du concile de Trente, et plus encore lors du concile du Vatican, organisé sa croyance en un système quasi juridique, ne laissant guère de place qu'à l’obéissance aveugle ; aux principes générateurs du christianisme dogmatique, elle a substitué des principes nouveaux qui menacent d'étouffer les anciens. Quant aux Eglises évangéliques, elles ont, d’une part, adopté bon nombre des formules du christianisme dogmatique, et cherchent, comme l’Eglise catholique, à les appuyer sur l’Ecriture ; mais, d’autre part, elles ont entendu à leur nia Înière l’autorité de l’Ecriture, rejeté la tradition en ant que source de la foi, désavoué la compétence Je l’Eglise en matière de dogme, et surtout élaboré une conception nouvelle de la religion chrétienne. Mais après qu’on a rejeté en principe l’ancien dogmatisme chrétien, reste à trouver, quant au détail, une position stable à son égard ; c’est à quoi l’on ne réussit point ; en droit et en fait, dans les Eglises protestantes, la revision des dogmes est perpétuellement à l’ordre du jour.

Le mensonge historique s’est attaché à l’origine et au développement du dogme.