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TRADITION CHRÉTIENNE DANS L’HISTOIRE

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licae…, A. D. MDLXIÏI.) Ses rencontres avec les protestants lui avaient permis d’apprécier l’avantage que la Réforme tirait de son alliance avec l’humanisme ; dans ce traité assez élégant, où il soumet à un examen critique les fondements de la foi, Cano s’affranchit de la forme scolastique. De quatorze livres, qu’il projetait au début, il n’a pu écrire que douze. Le premier expose le dessein de l’ouvrage ; les dix suivants passent en revue les autorités qu’on a coutume d’alléguer en théologie : Ecriture sainte ; Traditions apostoliques ; l’Eglise catholique ; Conciles généraux ; Eglise de Rome ; saints Pères ; théologie scolastique et droit canon ; raison naturelle ; philosophie et droit civil ; histoire. Nous nous arrêterons au troisième livre, qui présente, de notre point de vue, un intérêt spécial.

Les traditions conservées par l’enseignement oral, depuis le Christ et les Apôtres, ont été en butte aux attaques de Luther, attaques renouvelées de YViclef et autres hérétiques. Mais à défendre le terrain pied à pied contre des hommes qui ont rendu toute discussion impossible en niant les premiers principes et livrant l’Ecriture à l’arbitraire du sens propre, on perdra’t son temps ; Cano estime préférable de commencer par établir solidement le titre qu’a la tradition chrétienne primitive à notre créance. Ce titre résulte de quatre faits certains :

i° L’Eglise a précédé l’Ecriture ; la foi et la religion pourraient subsister sans l’Ecriture.

2° Certains points de doctrine chrétienne n’ont pas été consignés dans les Livres saints.

3° Il y a même bien des points de doctrine et de foi chrétienne qui ne se trouvent ni clairement, ni obscurément dans l’Ecriture.

! ° Les Apôtres, pour de graves raisons, ont enseigné

certaines choses par écrit et d’autres de vive voix.

Sans nous arrêter aux considérations historiques dont l’auteur appuie ces diverses assertions, voyons le parti qu’il en tire pour la recherche des traditions venues du Christ ou des Apôtres. Nous disposons à cet effet de quatre critères sûrs, qu’il énunière ainsi :

Le premier est indiqué par saint Augustin (De Baptismo contra Donatisttis, IV, xxiv, 31, P.L., XL1II, p. f]t). Ce qui est admis par l’Eglise universelle et n’a pas été institué par les conciles, mais maintenu constamment, doit être considéré comme tradition procédant de l’autorité des Apôtres. Ainsi le sous-diaconat et les autres ordres mineurs ; ainsi la loi du jeûne, le baptême des enfants, la consécration des vierges, la profession monastique, l’usage des lampes et des cierges dans les temples, le culte des images.

Deuxième critère, d’une application facile. Un dogme de foi que les Pères ont, dès l’origine, tenu constamment d’un commun accord, et dont ils ont combattu la négation comme une hérésie, s’il ne ressort pas de la sainte Ecriture, doit être rapporté à la tradition apostolique. Ainsi la perpétuelle virginité de Marie, la descente du Christ aux enfers, le nombre des évangiles canoniques, et d’autres points semblables.

Troisième critère. Une pratique reçue présentement dans l’Eglise, d’après le sentiment commun des Gdèles, et impossible à justifier par le recours à un pouvoir humain, dérive sûrement de la tradition des Apôtres. Ainsi la dispense des vœux, l’irritation des serments, l’annulation du lien conjugal par la profession monastique intervenant avant la consommation du mariage : autant de cas où les papes se sont montrés avertis de leur droit ; ce droit ne peut

provenir que du Christ, manifestant sa volonté par les Apôtres.

Quatrième critère, d’un usage plus commode et plus fréquent. Un dogme ou un usage que les témoignages ecclésiastiques rapportent unanimement à la tradition des Apôtres, doit leur être attribué sans hésitation. Ainsi le culte des images, selon les Pères du septième concile œcuméniqne ; le texte du symbole dit des Apôtres, selon Ruun, saint Jérôme, saint Ambroise et bien d’autres.

Après avoir mis son lecteur en possession de ces multiples critères, l’auteur distingue diverses catégories de traditions apostoliques. Les unes furent de simples mesures provisoires ; d’autres ont une valeur définitive. Les unes émanent du Christ en personne : par exemple, l’institution du mariage, de la confirmation, de l’extrême-onction, sacrements de la Loi nouvelle : elles participent à l’immutabilité du dogme. D’autres sont dues à l’initiative des Apôtres, et l’Eglise peut les modiiier : le jeûne quadragésitnal est probablement dans ce cas. Toutes ces institutions ont droit à nos respects ; en Unissant, l’auteur les défend contre les attaques des hérétiques récents : on a parfois invoqué à faux de prétendues traditions apostoliques ; ce n’est pas une raison pour en négliger de vraies et d’authentiques.

Malgré des erreurs et des lacunes, inévitables dans les premières synthèses de théologie posiiive, le De locis theolngicis a immortalisé Me’chior Cano.

— On peut consulter avec fruit l’ouvrage du Docteur Albert Lanu, Die Loci theologici des Melchior Cano und die Méthode des Dogmatischen fieu eiscs, Mùnchen, 1925.

Un peu plus tard, Robert Bellarmin eut occasion de reviser ces thèses, et les enrichit notablement. Il a formulé ses conclusions au tome premier de ses Controverses. Disputationum Roberli Bellarmini Politiani S. R. E. Cardinalis.ZJe Controversiis christianae fidei adversus hujus temporis hæreticos, tomi IV. Coloniæ Agrippinae, 1619. Le tome I parut pour la première fois en ioSG, à Ingolstadt.

Après avoir montré (Prima Controversia generalis L. IV, c. iv) que l’Ecriture n’est par elle-même ni nécessaire, ni sutlisante comme règle de foi, le docte jésuite établit l’existence de traditions orales découlant des Apôtres, par quatre chefs d’arguments : autorité de l’Ecriture (Ibid., c. v) représentée par saint Paul et saint Jean, autorité des souverains Pontifes et des conciles (c. vi), autorité des Pères (c. vu), enfin une dernière série de considérations neuves et suggestives(c.vi : i). La tactique perpétuelle de l’hérésie, qui se dérobe devant l’argument de tradition pour se retrancher sur le terrain scripluraire, offre une leçon aux défenseurs de la vérité. Depuis les valentiniens et les marcionites, en passant par les donatistes, les ariens, les nestoriens, les eutychiens, jusqu’aux sectes modernes des apostoliques combattus par saint Bernard et des wiclefistes, on observe constamment cette pratique ; Luther ne l’a pas inventée. Par ailleurs, où trouver société digne de ce nom, qui ne s’appuie sur des traditions ? La nation juive eut les siennes, en dehors de l’Ecriture ; toutes les nations policées eurent les leurs, comme on le voit par l’exemple d’Athènes ou de Lacédémone, de Rome on de l’ancienne Gaule. La philosophie profane, par la bouche de Pythagore et de Socrate, proclame la nécessité ou du moins la haute valeur sociale de la tradition orale à côté de la loi écrite. L’Eglise catholique échapjierait-elle à cette règle ? Sa dignité s’y oppose. Comment admettre, en effet, que les hérétiques, les païens, les juifs aient pu avoir sur sa constitution intime autant de lumières que ses propres