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TRADITION CHRETIENNE DANS L’HISTOIRE

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ment écrit pour appuyer les seinipélsgiens ? En ce cas, il est bien étrange qu’il s’en occupe si peu, car on n’a pu signaler lu trace de ce dessein que dans un petit nombre de phrases, d’une interprétation douteuse. Par contre, il s’occupe, d’un bout à l’autre de son ouvrage, de l’hérésie nestorienne, qui n’a rien à voir avec le semipelag.anisine. Il nous parait plus sûr de laisser là cette enquête probablement stérile : assez de bonnes raisons nous persuadent que le Commoiiiturinm est une œuvre saine et d’intention orthodoxe, d’ailleurs d’une facture lâche, et mal ordonuée. Les caractères généraux delà composition ne répondent i ; ue trop bien à l’inachèvement de certaines idées dogmatiques ; et cet inachèvement explique, sans la justifier, la vivacité de certaines attaques.

Si l’on a parfois beaucoup médit du canon Lirinensis, on n’a pas manqué aussi de le surfaire. N’était-ce pas le cas du catéchisme du diocèse de Wurzbonrg qui, sous le pontilicat de Léon XII, portait : i< Comment reconnail-on qu’une tradition, est divine ? Ou ie reconnaît à ce qu’elle a été crue toujours, partout et par tous. » Sur quoi les censeurs romains lirent observer que le canon de Lérins n’était ni l’unique critère des dogmes, ni le principal, et qu’il fallait donner le premier rang aux définitions de l’Eglise.

Mais en pleine mêlée doctrinale, quand les colonnes même du temple sont ébranlées, le canon de Lérins ne sera-t-il pas, pour la raison laïque, un principe lumineux de direction, et parfois une sauvegarde contre les trahisons de faux pasteurs ? Telle est la pensée que Brunetière (Op. cit., xxxix) développait, avec une certaine complaisance ; et, à ceux qui seraient disposés à prendre ombrage de la raison laïque, il rappelait, en invoquant le Commonitorium, que la plupart des hérésies furent l’œuvre de docteurs et même d’évèqnes. Dans ces cas, où il faut prendre parti contre l’autorité même, quelle autre voie pour les simples lidèles, que le recours au : Quod ubique, quod semper ? Si juste que soit celle observation, l’on risquerait, en y appuyant, de fausser le jeu du mécanisme proposé par le moine de Lérins. Car, qu’on le remarque bien : avant d’être un critère au service de la raison laïque, le canon de Lérins-est un principe directeur pour i’Eglise enseignante elle-même, et c’est dans l’élaboration des délinitions dogmatiques, entre les mains de la hiérarchie, que le Cumino/iilorium en décrit le fonctionnement. Donc, bien loin de songer à restreindre la part de la hiérarchie dans la conservation des vérités de foi, l’auteur a prévenu cette dissociation possible de l’autorité qui guide et de la raison qui travaille, en montrant l’une et l’autre à l’œuvre, dans l’exercice indivisible d’un même magistère.

Cette plénitude de sens ecclésiastique n’avait pas échappé aux Pères du Vatican, qui, dans leur Constitution DcFide, ont consacré les propres expressions du Commonitorium sur la vie du dogme. Il peut et il doit y avoir progrès dans l’Eglise, mais toujours

« dans le même dogme, dans le même sens, dans la

même pensée ». Nous avons cité plus haut le passage reproduit dans le décret conciliaire ; Vincent poursuit (xxiu) :

Qu’il en soit de la religion des âmes comme du développement des corps. Ceux-ci déploient et étendent leur< proportions avec les années, et pouitant ils reste it constamment les mêmes. Quel pie déférence qu’il y ait entre l’enfance dans sa Il ur et la vieillesse en sou arrière-saison, c’est un méo ;e homme qui a été adolescent et qui devient vieillard ; c est un seul et même homme dunt la tai le et l’extérieur se modifient, tandis que subsiste en lui une seulo et même nature, une seule et même personne. Les mem bres dos enfants à la mamelle sont petits, ceux des jeunes gens sont grands : ce s. : ii pourtant les mêmes. Les tout petits en ont le mémo uoui. r- que les ho. ornes faits, et s’il y on a qui naissent en un âge plus mur, déjà ils existaient viriuelluiiii.ii ! en germe, en sorte que rien >lo nouveau n’apparaît chez, l’homme âgé qui, auparavant déjà, n ait été oaohé dans l’enfunt. Il n’est donc pas d juteux que la n’gle légitime et correcte du propres, l’ordre précis et magnifique de la croissance, sont observés lorsque le nombre des années découvre chez l’homme, à mesure que celui-ci gran (lit, les parties et los formes dont la sagesse du Créateur avait d’avance marqué la ligne chez reniant Si la forme humaine prenait ultérieurement une apparence tout à l’ait étrangère à son espèce, si tel membre était, soit retranché, soit ajouté, fatalement le corps entier périrait ou deviendrait monstrueux, ou, en tous cas, subirait une déchéance, t’es lois du progrès doivent s’appliquer également au dogme chrétien : que les années le consolident, que le temps le développe, que I âge le rende plus auguslo, mais qu’il demeure pourtant sans corruption et inentamé, qu’il soit complet et parfait dans ton es les dimensions de ses parties, et, pour ainsi parler, dans tous les membres et dans tuuslesse.s qui lui sont propres : cur il n’admet après coup aucune altération, aucun déchet de ses caractères spécifiques, aucune variation dans ce qu’il a de défini…

Toutes les semences que la foi des pères a déposées dans le champ de 1 Eglise divine, il faut que le zèle des enfants les cultive et les surveille, les fasse lleurir et mûrir, eu aide le progrès et les conduise à leur perfection. Il est légitime que ces anciens dogmes de la philosophie céleste se dégrossissent, se liment, se polissent avec le développement des temps : ce qui est criminel, c’est de les altérer, de les tronquer, de les mutiler. Ils peuvent recevoir plus d’évidence, plus de lumière et de précision, oui ; mais il est indispensable qu’ils gurdent leur plénitude, leur intégrité, leur sens propre…

L fglise du Christ, gardienne altontivo et prudente des dogin< s qui lui ont été donnés en dépôt, n’y change rien jamais ; eile ne diminue point, elle n ajoute point ; ni elle ne retranche les choses nécessaires, ni elle n aujo.nt do choses superflues ; ni elle ne laisse perdre ce qui est à elle, ni elle n’usuipe le bien d’aulrui. Dans sa fidélité sage à 1 égard des doctrines anciennes, e ! le met tout son zèle à ce seul poi.it : perfectionner et polir ce qui, dès l’antiquité, a reçu sa première l’orme et.sa première ébauci.e ; consolider, affermir ce qui a déjà son relief et son évidence ; garder ce qui a été déjà confirmé et défini. Enfin, quel but s’est-elle proposé d’atteindre dans les décrets des conciles, sinon de proposer à u ::e croyance plus relléchie ce qui était cru auparavant en toute simplicité ; de prêcher avec plus d insistance les vérités preebées jusque-là dune façon plus molle, de faire honorer plus diligemment ce qu’auparavant on honorait avec une plus tranquille sécurité ? Voici ce que, provoquée par los nouveautés des hérétiques, l’Eglise catholiquo a toujours fait par les décrets de ses conciles, et rien de plus : ce quelle avait reçu des ancêtres par l’intermédiaire de la seule tradition, elle a voulu le remettre aussi en des documents écrits à la postérité, elle a résumé en peu de mots quantité de choses, et — le plus souvent pour en éclaircir l’intelligence — elle a caractérisé par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n’avait rien de nouveau.

Telles sont les déclarations du moine de Lérins sur ce qu’il nomme « le progrès de la religion ». Après le célèbre canon, aucun passage du Commonitorium n’a été plus discuté : naturellement, on a du s’efforcer quelquefois de lui arracher des concessions auxquelles son texte répugne. Il n’en est pas moins vrai que cette page tranche sur l’ensemble du livre, par les perspectives qu’elle ouvre sur le développement ultérieur du dogme, et cela même en fait l’immense intérêt.

Xi minéral ni fossile, le dogme chrétien éveille plutôt l’idée d’un organisme vivant ; le recours à cette analogie, la moins imparfaite que présente la nature, traduit bien l’embarras du théologien, obligé de faire comprendre par des à peu près un phénomène unique en son genre.

La fécondité interne d’un principe qui se développe en restant lui-même, caractérise les êtres